Tweets en tous genres
Qu’est-ce que Donald Trump, président des Etats-Unis, et Alyssa Milano, actrice de cinéma, ont en commun? Il et elle tweetent du matin au soir. Le premier sous l'étiquette #MAGA (Make America Great Again), la seconde sous #MeToo, son invention. Leurs tweets, antagoniques, détruisent à la fois l'ordre international et l'ordre culturel. Les Etats-Unis, devenus imprévisibles sous les humeurs de Trump, cessent de représenter le pilier du régime social-libéral de l'Occident qu'ils ont été au XXe siècle. Quant aux vestiges de la hiérarchie entre les hommes et les femmes, ils volent en éclats sous l'effet du hashtag planétaire anti-harcèlement. Grâce aux réseaux sociaux, les deux mouvements ont acquis la puissance de phénomènes déstabilisateurs à grande échelle. Issus des marges – le Tea Party pour Trump, un quartier d'Hollywood pour #MeToo –, ils sont le prototype d'opérations extérieures aux cadres établis qui aboutissent à en affaiblir les structures et la légitimité. A quelles fins? On ne sait pas, justement.
Rapprochant les deux mouvements, Alfredo Vallãdao, chercheur à Sciences Po, montre que les intentions, bonnes ou mauvaises, des milliards de tweeteurs s’exprimant sur des milliers de sujets sont de peu de poids dans le brouillard impénétrable des messages. Elles ne font pas une intention commune. Tout au contraire, elles annulent l'intentionnalité. Ne jaillit de cette profusion de désirs contradictoires que la dérision de l'ordre présent, perturbé de toutes parts. Le Nous du peuple est remplacé par la foule des individus singuliers qui utilisent les nouvelles technologies pour exprimer leurs opinions ou affinités. La capacité des élus et élites traditionnels à résoudre les problèmes s'en trouve prise à rebours.
Avec l’intentionnalité succombe aussi la «volonté politique», ce ressort du pouvoir vertical des gouvernements, des partis ou des organisations. L'autorité, appuyée sur la foi en sa capacité de définir des buts stratégiques communs, est ébranlée par la multiplicité des opinions sur ce qu'est ou doit être la communauté. Le territoire lui-même est en question puisque l'Etat n'est plus seul maître de la redistribution. C'est l'ordre fordiste du XXe siècle qui va vers l'écroulement, l'organisation du travail comme l'organisation politique, sociale et culturelle qui la chapeaute. Donald Trump et Alyssa Milano tweetent sur sa tombe: à bas les institutions libérales, à bas l'homme patron. Avec eux, des tweets à n'en plus finir arrivent de partout: à bas ceci, à bas cela.
Contre ce bruit dérangeant, deux réactions se lèvent: l’autoritarisme et la restauration. L'autoritarisme, manifeste depuis la Hongrie jusqu'à la Chine en passant par la Russie et la Turquie, rejette le pouvoir horizontal né des réseaux sociaux. Il contrôle l'accès au digital et à ses contenus, verrouille les institutions politiques et surveille le respect des normes sociales ou religieuses tenues pour seules acceptables. Bridant sa dissidence, il se prive de sa force innovatrice et se condamne à la reproduction stérile de lui-même.
La restauration n’est pas non plus prometteuse. Elle suppose que les institutions libérales démocratiques, affaiblies sous le torrent des nouvelles technologies, triompheront d'elles et regagneront leur influence perdue à coups de bon vouloir, de bonne stratégie et de bonne gouvernance. Restaurer le bel âge de la démocratie majoritaire est un but sécurisant auquel il manque toutefois un itinéraire praticable.
A défaut de solution, il reste à comprendre ce moment de passage entre le temps de l'intelligence mécanique, encadrée dans un système politico-social adéquat, et celui de l'intelligence artificielle, une foire aux libertés en quête de balises. Ce que les nouvelles technologies défont se refera avec elles, autrement et sous leurs impératifs. Comment? Rendez-vous après-demain, quand les #MAGA et autres #MeToo auront accompli leurs oeuvres, bonnes et mauvaises, dans le temps long de l'histoire.
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