Le Temps

Cyril Duval, les enchères de la passion, ou l’amour des beaux objets

Il a fondé avec deux associés Genève Enchères et met en vente la semaine prochaine 1024 lots à la criée dont la collection Brigitte de Saussure. A voir rue de Monthoux aux Pâquis

- CHRISTIAN LECOMTE

«Un nouveau public, très internatio­nal, émerge, de jeunes collection­neurs venus d’horizons divers»

On ne s’attend pas à voir ce type de négoce dans ce quartier. Nous sommes aux Pâquis, célèbres pour ses bars du monde, ses cabarets, ses bas résille, ses vendeurs d’herbe et opiacés. On s’étonne donc. Habitué à ce genre de réaction, Cyril Duval, l’un des trois associés de Genève Enchères, répond: «Nous nous trouvons en fait entre deux mondes, le lac et les grands hôtels, d’un côté, les commerces populaires et la gare Cornavin de l’autre. C’est finalement stratégiqu­e.» C’est ainsi que des dames très chics, sorties du salon de coiffure du Kempinski, poussent la porte du 38, rue de Monthoux, à la recherche d’un objet précieux, un pendentif marguerite, un vase balustre de style Ming ou une pendulette de table. «Et au niveau sécurité, nous ne risquons rien grâce aux caméras Maudet et aux filles sur le trottoir d’en face qui voient tout», ajoute Cyril Duval.

Un espace modulable

Cela fait quatre années que le triumvirat expose aux Pâquis. Six cents mètres carrés en tout, c’est immense. S’étendait là jadis le légendaire Surplus américain auquel succéda l’enseigne Freedom, qui a fait faillite en 2014. «Pour nous, ici, tout est pratique, de la porte cochère qui autorise les livraisons les plus lourdes, comme le mobilier, aux puits de lumière à l’intérieur qui éclairent parfaiteme­nt les lots. Et c’est modulable comme au théâtre», résume Cyril Duval.

Grosses journées en perspectiv­e pour lui et ses acolytes Olivier Fichot et Bertrand de Marignac. A compter du 18 septembre et durant trois jours, 1064 lots seront mis aux enchères à la criée, répartis en plusieurs vacations (art du XXe siècle et contempora­in, art asiatique, classique du XVe au XIXe siècle, art suisse et arts de la table, mode-montresbij­oux). Une exposition publique est ouverte du 14 au 16 septembre.

En attendant, il faut aménager la place, monter l’estrade et le pupitre, garnir les rangs de chaises. Un travail d’équipe (le commissair­e-priseur Olivier au marteau, Bertrand au clavier pour les offres par internet, Cyril au téléphone pour la clientèle étrangère) et de famille (le parent de l’un dresse les procès-verbaux, la grand-mère de l’autre tend café, thé et biscuits).

Cyril Duval doit à sa famille cette passion pour les belles choses et leur commerce. Il a grandi à Pregny-Chambésy dans une vaste maison bourgeoise où cohabitaie­nt ses parents, sa soeur et trois grands-parents. «L’heure du thé était une véritable institutio­n, comme un service religieux», se souvient-il. Féru d’argenterie et d’histoire, le grand-père paternel lui a transmis sa passion. Cyril a donc étudié l’histoire de l’art à l’Université de Genève, a effectué un stage chez Christie’s place de la Taconnerie et s’y est même attardé en assurant le remplaceme­nt d’une employée en congé maternité. Puis neuf ans durant s’est occupé d’argenterie dans un lieu de vente. Avant de former avec Olivier et Bertrand un trio ambitieux et convaincu qu’en dépit d’une conjonctur­e un peu difficile, il y a de la marchandis­e et une clientèle pointue. «Les prix baissent pour certains objets, notamment le mobilier courant, augmentent pour d’autres, notamment les pièces exceptionn­elles, mais un nouveau public, très internatio­nal, émerge, de jeunes collection­neurs venus d’horizons divers», relève Cyril.

Pour toutes les bourses

Son coup de coeur pour cette vente: un mobilier de chambre à coucher Sécession munichoise déniché dans une famille genevoise. «Il est attribué à l’architecte d’intérieur allemand Bruno Paul et date de 1905, il est très avant-gardiste, d’une modernité saisissant­e, aux motifs art nouveau en nacre», s’enthousias­me Cyril Duval.

Autre prestigieu­x lot que Genève Enchères présente: la collection Brigitte de Saussure, décédée en janvier 2018. Un contenu de son appartemen­t en Vieille Ville est mis à la vente, allant de ses chevaux d’enfant à des assiettes pour le dîner, une compositio­n de coraux blancs, des meubles anciens (une grande table de monastère du XVIIe, une table à jeux d’époque Louis XV, une console rococo italienne du XVIIIe, etc.). La défunte conservait par ailleurs un trésor familial: des dessins réalisés au crayon et à l’aquarelle par l’entomologi­ste et minéralogi­ste Henri de Saussure au Mexique en 1854. «Brigitte de Saussure avait aménagé chez elle un intérieur chic, hyperintel­lectuel et élégant, comme un cabinet de curiosités. Elle avait élégamment associé meubles du XVIIIe, sièges couverts de lin blanc, animaux naturalisé­s sous cloche et corbeilles de coraux.»

On verra aussi un buste du naturalist­e genevois Charles Bonnet (1720-1793), oncle d’Horace-Bénédicte de Saussure réalisé par le sculpteur Jean Jaquet (1754-1839). Un vase chinois du XVIIIe de porcelaine bleu et blanc avec paysage lacustre est estimé entre 100 000 et 150000 francs, de même qu’un vase dragon de période Qianlong. Prix élevés mais Cyril assure qu’il y en a pour toutes les bourses et tous les goûts, notamment en matière d’orfèvrerie. Où vont-ils chercher tous ces objets? Un réseau forcément, mais Cyril Duval rappelle la règle des D: «Dettes, décès, déménageme­nt, divorce.»

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