La rue se réveille face aux inégalités salariales
Durant sa carrière, une femme gagne 300 000 francs de moins qu’un homme. Elles seront nombreuses à clamer leur colère le 22 septembre à Berne, deux jours avant un vote au Conseil national sur un projet de loi jugé minimaliste
Durant sa vie professionnelle, une femme gagne 300 000 francs de moins qu’un homme, selon une étude publiée par Unia
Dix mille personnes sont attendues sur la place Fédérale le 22 septembre pour protester contre les inégalités de salaire, une manifestation lancée par les syndicats et soutenue par une quarantaine d’associations. La rue se mobilise, mais c’est au parlement que tout se jouera, deux jours plus tard: le Conseil national doit se prononcer sur la loi sur l’égalité des salaires. L’égalité est un principe ancré dans la Constitution depuis trentesept ans. Le 29 mai dernier, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a arraché au Conseil des Etats un projet réduit à sa portion congrue: toutes les entreprises de 100 collaborateurs au moins seront tenues d’analyser leur politique salariale tous les quatre ans et d’en informer leur personnel. Mais le texte est dénué de toute sanction contre les employeurs chez lesquels on décèlerait des inégalités. Et cette obligation serait limitée à douze ans. Autant dire: une loi minimaliste.
En moyenne, secteurs privé et public confondus, les femmes encaissent 12% de moins que leurs collègues hommes. «L’écart moyen baisse, ça rassure tout le monde, mais c’est trompeur», prévient Valérie Borioli Sandoz, responsable de la politique de l’égalité chez Travail.Suisse. La part de ces différences salariales non explicable par des facteurs objectifs – comme l’expérience, la formation ou la position hiérarchique – augmente, elle, avoisinant 40%.
«Les femmes se font voler 10 milliards par an. C’est monstrueux» CORINNE SCHÄRER, UNIA
La Suisse va-t-elle enfin accoucher d’une loi sur l’égalité des salaires? Tout se jouera le 24 septembre prochain au Conseil national. Mais une bonne quarantaine d’associations, sous l’impulsion des syndicats, comptent d’abord faire parler la rue deux jours plus tôt. Elles espèrent réunir au moins 10000 personnes sur la place Fédérale. Unia a appelé le parlement à «mettre fin au scandale que sont des inégalités indignes d’une démocratie et d’un Etat de droit». Il a sorti de nouveaux chiffres, calculés par le bureau d’études de politique du travail et de politique sociale BASS. Selon ce dernier, chaque femme perdrait 300000 francs tout au long de sa vie.
Les femmes devront-elles se laisser pousser la barbe pour parvenir à l’égalité? Le 11 septembre dernier, même une touche d’humour ne parvenait pas à masquer la colère des syndicalistes d’Unia lors d’une action sur la place Fédérale. L’égalité est un principe ancré dans la Constitution depuis trente-sept ans. Mais depuis, que de palabres et de promesses non tenues!
Le 22 septembre prochain, les organisateurs de la manifestation, qui ont prévu un cortège au centre-ville, comptent mettre la pression sur le Conseil national, une Chambre désormais moins progressiste que celle des Etats. A eux seuls, l’UDC et le PLR, qui rejettent massivement le projet, y détiennent 101 des 200 sièges.
Une affaire de solidarité féminine
La quarantaine de partis, syndicats et associations qui ont pris l’initiative de cette manifestation représentent un assez large spectre politique de la gauche au centre droit. «Nous voulons démontrer qu’il y a une solidarité entre femmes et que l’égalité n’est pas une question gauche-droite», déclare la présidente des femmes PDC Babette Sigg. Un combat qui concerne d’ailleurs aussi les hommes: l’association Männer.ch sera présente à Berne.
Les chiffres dévoilés par Unia révoltent Corinne Schärer, membre du comité directeur du syndicat. «Au total, les femmes se vont voler près de 10 milliards par an. C’est monstrueux!»
Le 29 mai dernier, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a arraché au Conseil des Etats un projet réduit à sa portion congrue, dénué de toute sanction contre les employeurs chez lesquels on décèlerait des inégalités: toutes les entreprises de 100 collaborateurs au moins seront tenues d’analyser leur politique salariale tous les quatre ans et d’en informer leur personnel. Un projet si minimaliste qu’il a donné lieu à une scène surréaliste. Un PLR, le Neuchâtelois Raphaël Comte, a reproché à la magistrate socialiste de ne pas aller assez loin: «On ne traite pas un cancer avec une aspirine», a-t-il déploré.
C’est donc ce «compromis du compromis», comme l’avouent les indécrottables pragmatiques, qui arrive désormais au Conseil national lors de cette session. Les pessimistes craignent le pire, compte tenu de l’opposition annoncée par l’UDC et le PLR. Sous la Coupole, aucune des femmes de droite contactées par Le Temps n’a l’intention de participer à la manifestation, même celles qui partagent la cause de l’égalité. Les défilés et les calicots, ce n’est pas le genre de la maison. «Notre devoir est de travailler ici au parlement», soulignent Rosmarie Quadranti, cheffe du groupe PBD, et Andrea Gmür (PDC/LU).
Les femmes PLR en arbitres
Si le vote final s’annonce très serré, le pire n’est pas sûr pour les femmes, à en croire Isabelle Moret (PLR/VD). «Nous les femmes PLR nous sommes battues pour le compromis qui a été adopté au Conseil des Etats. Nous y sommes donc favorables», remarque la Vaudoise. Ce sont elles qui ont diminué le nombre d’entreprises contrôlées en ne prenant en compte que celles de plus de 100 collaborateurs, au lieu de 50 comme le voulait Simonetta Sommaruga. Ce sont aussi elles qui ont introduit une «clause du coucher de soleil» (sunset clause). Que de romantisme pour indiquer que la loi s’éteindra au bout de douze ans. Une manière d’édulcorer encore davantage la loi, mais qui pourrait s’avérer décisive: «J’espère qu’une petite dizaine de PLR soutiendront le projet», pronostique Isabelle Moret. ▅
L’égalité est un principe ancré dans la Constitution depuis trente-sept ans