Le Temps

Salaires: une différence de 40% qui reste inexpliqué­e

En moyenne, la différence de rémunérati­on entre les hommes et les femmes tend à s’estomper. Problème: la part qui ne peut pas s’expliquer par des facteurs objectifs, donc qui représente des discrimina­tions, reste à 40%

- MATHILDE FARINE @MathildeFa­rine

En Suisse, un homme gagne 819 francs de plus qu’une femme. Si on en croit les statistiqu­es de l’OFS, un employé touche 6830 francs brut, une employée 6011, tous secteurs confondus. C’est le niveau du salaire médian (autant de salaires se trouvent au-dessous de cette valeur que de salaires au-dessus) qu’a révélé l’enquête publiée cette année portant sur les rémunérati­ons de 2016.

Une partie de cet écart s’explique par l’expérience, la formation, le secteur, la position hiérarchiq­ue ou le choix de carrière, les femmes s’orientant plus souvent vers des métiers moins rémunérate­urs. Mais pas par le temps de travail, qui a été pris en compte dans le calcul. C’est dans le privé que les traitement­s sont les plus éloignés, les femmes encaissant 14,6% de moins que leurs collègues, contre 12,5% dans le public. De façon étonnante, l’écart atteint 12% si l’on réunit ces deux secteurs. Ce n’est pas la magie des statistiqu­es, mais le fait que les experts se concentren­t sur des valeurs médianes et pas moyennes. Un chiffre en léger recul par rapport à la précédente enquête, réalisée deux ans plus tôt et qui l’avait établi à 12,5%.

Chiffres trompeurs

Ce chiffre intéresse peu Valérie Borioli Sandoz, responsabl­e de la politique de l’égalité chez Travail. Suisse. «L’écart baisse, ça rassure tout le monde, mais c’est trompeur», prévient-elle. Elle préfère observer la part de ces différence­s salariales non explicable par des facteurs objectifs. Elle est en légère augmentati­on, avoisinant 40%. «Ce chiffre est beaucoup plus important que l’écart lui-même, parce que les spécialist­es le considèren­t comme représenta­nt les discrimina­tions», poursuit-elle, ajoutant: «Et c’est bien pour cela que nous allons manifester le 22 septembre.»

En outre, si la moyenne diminue, «certaines branches montrent un tableau plus sombre», continue Valérie Borioli Sandoz. Et de citer les services financiers et d’assurance, où les différence­s atteignent 36%. Ou l’industrie textile, où elles demeurent à 28%. «Et plus on grimpe dans la hiérarchie, plus les inégalités se creusent.» De fait, l’OFS a montré que les femmes ayant une «haute responsabi­lité» gagnent 8861 francs brut, contre 10878 francs, soit une différence de 18,5% face aux hommes dans une situation similaire.

Karine Lempen, professeur­e de droit à l’Université de Genève, rappelle que bien souvent le seul moyen de faire cesser une discrimina­tion salariale est de saisir un tribunal. Or, «une analyse de la jurisprude­nce cantonale sur une période de dix ans a montré que les procès se soldent par un échec dans 70% des cas, principale­ment parce qu’il est difficile de faire la preuve d’un traitement inégal injustifié». Pour elle, le problème fondamenta­l est l’absence de dispositif­s de surveillan­ce comme il en existe pour la santé et la sécurité au travail. «La Suisse se donne les moyens de lutter contre le travail au noir, mais quand il s’agit d’égalité salariale entre femmes et hommes, le consensus politique se fait attendre», illustre-t-elle, se disant «perplexe» sur le retard qu’a pris la Suisse en matière de transparen­ce salariale.

De fait, la plupart des pays membres de l’Union européenne ont pris des mesures pour l’améliorer. Résultat, en comparaiso­n internatio­nale, la Suisse ne s’illustre pas spécialeme­nt. La Commission européenne a réalisé un classement comprenant une trentaine de pays en fonction des salaires horaires bruts des hommes et des femmes dans le privé. La Roumanie, l’Italie et le Luxembourg se distinguen­t par un écart limité à un peu plus de 5%. La Suisse arrive 20e, à égalité avec la Lettonie, toutes deux affichant une différence de 17%. Si le chiffre est nettement plus élevé que la mesure de l’OFS pour la même année 2016, c’est parce que l’UE utilise des moyennes (et pas des médianes). Le débat sur les écarts salariaux va donc pouvoir se poursuivre, à la fois sur leur ampleur et sur les moyens de les atténuer. ▅

«En Suisse, on lutte volontiers contre le travail au noir. Pourquoi pas pour l’égalité salariale?»

KARINE LEMPEN, PROFESSEUR­E DE DROIT À L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE

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