Le Temps

Claque européenne à Viktor Orban

Le Parlement européen a décidé que la situation en Hongrie justifiait une procédure sur le respect de l’Etat de droit. Un revers pour l’homme fort de Budapest, dont la famille politique ne sait toutefois toujours pas s’il faut s’en séparer

- SOLEN PAULIC, STRASBOURG

Sa famille politique l’en avait menacé, elle a fini par s’exécuter et rejoindre mercredi à Strasbourg le rang des eurodéputé­s inquiets de l’état des libertés civiles en Hongrie. Ceux-ci ont en effet déclenché contre le pays une procédure inédite sur le respect de l’Etat de droit, qu’ils estiment en danger. Un message sans ambiguïté adressé à l’homme fort de Budapest et soutenu largement par les familles socialiste­s, libérales et écologiste­s, mais aussi par une partie des membres du PPE, qui semblent de plus en plus irrités.

Cette procédure dite de l’article 7 est celle que la Commission a déclenchée fin 2017 contre la Pologne pouvant aboutir à priver un pays de ses droits de vote.

Viktor Orban aurait peut-être pu l’éviter mardi 11 septembre lors d’un débat, mais sa posture de victime et ses accusation­s contre un hémicycle dominé par les pro-migration ont achevé de convaincre ceux qui hésitaient.

Pour Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, qui prononçait juste avant le vote son dernier discours sur l’Etat de l’Union, l’issue ne devait faire aucun doute. Partout où l’Etat de droit est menacé, «l’article 7 doit être activé», a asséné un Luxembourg­eois presque désabusé, dans l’un des rares moments intenses de son discours.

Certains des soutiens idéologiqu­es de Viktor Orban, notamment sur la question migratoire et la fermeture des frontières, l’ont aussi lâché, à l’image de Brice Hortefeux. L’élu des Républicai­ns et ancien ministre de Nicolas Sarkozy avait rejeté en juin l’ouverture de cette procédure lors d’un vote en commission parlementa­ire. Il a cette fois décidé de ne pas apporter son soutien à Viktor Orban, en s’abstenant, déçu par la posture du Hongrois qui, à «aucun moment, n’a voulu tendre la main», a-t-il dit. Manfred Weber, l’Allemand, chef de file du groupe PPE, a aussi pris ses distances et voté en faveur de cette procédure.

Une réunion de deux heures mardi soir avec Viktor Orban devait guider la consigne de vote. Mais le Hongrois n’a pas donné de gages, par exemple sur la loi sur les Université­s étrangères ou les ONG étrangères. «La tension était à son comble, on a senti que certains étaient exaspérés par Orban et étaient arrivés vraiment à bout», relate un participan­t, qui a déploré d’ailleurs qu’il «nous accuse de l’avoir piégé depuis le début avec les quotas de migrants et s’obstine avec les conspirati­ons pro-Soros».

Ce refus du compromis a poussé Manfred Weber et certains autres élus de la CSU et de la CDU à le lâcher. Mais la rupture n’est pas si claire. Une partie du PPE, les Hongrois bien sûr, mais aussi quelques élus français et italiens, ont refusé cet article 7, suspicieux sur la procédure et refusant d’être enfermés dans un débat «idéologiqu­e» entre pro-UE et anti-UE. Certains considèren­t même le rapport de la députée Judith Sargentini comme une pure cabale politique «pas du tout objective», relate un autre membre du groupe. Que va-t-il se passer désormais? Il revient au Conseil de l’UE d’en décider. Comme pour la Pologne, les Etats membres pourraient choisir de mener des auditions avec les représenta­nts hongrois – une sorte de dialogue politique plus poussé.

C’est en tout cas la méthode appliquée avec Varsovie (qui sera d’ailleurs encore conviée le 18 septembre à s’expliquer sur ses réformes judiciaire­s) mais qui n’a pour l’heure pas eu vraiment d’effets. Beaucoup doutent au PPE que la procédure aille très loin. Comme pour la Pologne, il faudra l’unanimité pour voter des sanctions contre la Hongrie.

«On espère vraiment qu’il va réagir»

UN OBSERVATEU­R DU DOSSIER EUROPÉEN

«Marche arrière»

Le gouverneme­nt hongrois pourrait de plus contester la légalité du vote du Parlement. Mais il sera quand même difficile d’ignorer ce message. «Après cette claque, on espère vraiment qu’il va réagir», poursuit notre premier observateu­r. «Et qu’il fasse marche arrière» sur les mesures controvers­ées.

Une exclusion du PPE est-elle la prochaine étape après ce vote? Les dirigeants du PPE, qui se verront la semaine prochaine à Salzbourg à la veille d’un sommet informel, «en discuteron­t forcément», avant un congrès politique en novembre. Mais «je ne crois pas à cette exclusion», dit un autre membre. «Pour quelles raisons? Ni la Commission ni la Cour de justice n’ont établi qu’il existait un risque grave en Hongrie. Ce serait injuste de se positionne­r juste sur la base d’un rapport non objectif», estime même cet insider.

Pour certains, le PPE se tirerait une balle dans le pied en écartant l’homme qui assure dans l’Est de l’UE la forte présence de la famille de centre droit. Celui-ci a d’ailleurs affirmé plusieurs fois mardi qu’il n’avait aucune intention de quitter sa famille naturelle. Mais difficile aussi de nier que les plus modérés seront peut-être tentés de rejoindre des familles moins agitées. Un beau casse-tête en perspectiv­e pour les élections à venir. ▅

 ?? (EPA/PATRICK SEEGER) ?? Jean-Claude Juncker durant son discours de Strasbourg, qui lui a permis de s’en prendre à la Hongrie.
(EPA/PATRICK SEEGER) Jean-Claude Juncker durant son discours de Strasbourg, qui lui a permis de s’en prendre à la Hongrie.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland