La bataille d’Idlib, menace pour Ankara
La Turquie cherche à éviter une offensive du régime de Damas contre la province rebelle d’Idlib, mais sa marge de manoeuvre est faible
De tous les Etats qui s’efforcent, depuis plusieurs semaines, d’empêcher le régime syrien de donner l’assaut sur Idlib, dernier grand bastion insurgé dans le nord-ouest du pays, la Turquie est sans doute, de loin le plus actif.
Ses inquiétudes sont d’abord stratégiques. Quelle que soit son envergure, une offensive des troupes de Bachar el-Assad, avec l’aide militaire de la Russie et de l’Iran, ciblerait des rebelles soutenus par Ankara et rassemblés au sein d’un Front national de libération. A Idlib, ces derniers sont en concurrence avec un groupe djihadiste lié à Al-Qaida, Hayat Tahrir al-Cham (HTS).
Les efforts de la Turquie pour démanteler ce groupe classé terroriste ont échoué, et Ankara tente désormais de convaincre Moscou, principal allié de Damas, d’inclure les «rebelles modérés» dans une «opération internationale de contre-terrorisme» visant HTS, et lui seul. «Les rebelles modérés ont joué un rôle clé dans la lutte de la Turquie contre les terroristes dans le nord de la Syrie», plaidait cette semaine le chef de l’Etat, Recep Tayyip Erdogan, dans le Wall Street Journal, en référence aux offensives d’Ankara en territoire syrien.
Une telle proposition paraît peu réaliste, mais la Turquie n’a d’autre choix que d’abattre toutes ses cartes pour empêcher ses protégés syriens d’être dispersés, sinon écrasés, par l’offensive à venir. Il y va de sa crédibilité vis-à-vis de ces rebelles qui servent, depuis deux ans, de supplétifs à l’armée turque contre Daech et les forces kurdes dans le nord du pays.
Il en va aussi de l’avenir du processus d’Astana, lancé l’année dernière par la Turquie, la Russie et l’Iran pour tenter de trouver une issue politique à la guerre en Syrie. Ce processus avait permis la création de quatre zones de cessez-le-feu, dont celle d’Idlib, où la Turquie jouait jusqu’ici un rôle de garant avec l’installation de douze postes d’observation militaires.
Or, face aux deux alliés de Damas que sont la Russie et l’Iran, le poids de la Turquie dépend de sa capacité à influencer les rebelles. Sans cela, la contribution turque au mécanisme d’Astana devient de moindre utilité, et Ankara risque de perdre le pouvoir de négociation qui lui a
La Turquie n’a d’autre choix que d’abattre toutes ses cartes
permis de lancer, depuis août 2016, deux opérations successives en Syrie, établissant de fait un protectorat turc dans les régions d’Afrine, Azaz, Jarabulus et Al-Bab.
Une offensive de Bachar el-Assad à Idlib, outre qu’elle forcerait la Turquie à retirer ses soldats des postes d’observation installés dans la province, mettrait en péril l’avenir de ce «protectorat» conçu pour empêcher la formation d’un Kurdistan autonome, et qu’Ankara espère encore élargir, notamment du côté de Manbij. Idlib «est un tremplin irremplaçable pour les futures opérations de la Turquie en Syrie», insiste Hasan Basri Yalcin, directeur des recherches stratégiques au think tank SETA, dans le quotidien Sabah.
Si la Turquie tient au maintien de ses zones d’influence dans le nord de la Syrie, c’est aussi qu’elle espère y renvoyer une grande partie des 3,5 millions de Syriens réfugiés sur son territoire. Or une offensive contre Idlib et ses 3 millions d’habitants aurait l’exact effet inverse: pousser vers la frontière turque un flux énorme de réfugiés – quelque 800000 personnes, selon les estimations de l’ONU.
La Turquie tient d’autant moins à accueillir les réfugiés d’Idlib qu’un grand nombre de djihadistes de Hayat Tahrir al-Cham pourraient se cacher dans leurs rangs. Et reprendre la série d’attentats que le pays a déjà subie en 2015-2016.
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