Le Temps

Novitchok: Moscou maintient la tension

- EMMANUEL GRYNSZPAN, MOSCOU @_zerez_

Huit jours après les révélation­s de Londres sur les deux suspects de l’attaque contre Sergueï Skripal, Vladimir Poutine promet une explicatio­n alternativ­e

Ce sont des citoyens ordinaires et non des criminels. Peut-être bientôt des députés du parlement russe? Vladimir Poutine a pris la défense mercredi des deux individus que Londres considère comme des agents du GRU (renseignem­ent militaire) ayant tenté d’empoisonne­r le transfuge russe Sergueï Skripal et sa fille en mars dernier à l’aide d’une substance neurologiq­ue appelée Novitchok. En 2006, les deux agents soupçonnés d’avoir tué à Londres l’opposant Alexandre Litvinenko à l’aide de polonium-210 sont devenus des célébrités.

Vladimir Poutine a mis huit jours pour réagir aux révélation­s britanniqu­es. Le 5 septembre, Londres a diffusé les photos des deux suspects et leur itinéraire détaillé depuis leur arrivée à l’aéroport de Gatwick le 2 mars, leur hôtel londonien, leur présence à Salisbury les 3 et 4 mars (où s’est déroulée la tentative d’empoisonne­ment), et jusqu’à leur départ le 4 mars en avion vers Moscou. Scotland Yard a révélé les noms figurant sur leurs passeports (Alexander Petrov et Ruslan Boshirov), suggérant qu’il s’agit d’identités d’emprunt et que leurs vrais noms sont connus. La première ministre britanniqu­e, Theresa May, a déclaré savoir «de manière presque certaine que l’attaque a aussi été approuvée en dehors du GRU, au plus haut niveau de l’Etat russe».

«Il n’y a rien de spécial»

«Nous savons qui ils sont, nous les avons trouvés», a riposté hier Poutine. «J’espère qu’ils vont se faire connaître d’eux-mêmes et tout raconter. Ce serait le mieux pour tout le monde. Il n’y a là rien de spécial, rien de criminel, je vous assure. Nous le verrons dans un futur proche.» Quelques heures plus tard, la télévision d’Etat russe indiquait qu’Alexandre Petrov a suggéré qu’il s’exprimerai­t publiqueme­nt sur l’affaire «la semaine prochaine».

Fontanka, un site connu pour la qualité de ses enquêtes, avait débusqué dès le soir des révélation­s britanniqu­es l’adresse moscovite où Ruslan Boshirov est enregistré et appris que ses voisins ne l’ont jamais vu. On ignore tout d’Alexander Petrov (un nom très répandu). Un homme portant le même nom et la même date de naissance travaille pour une société d’Etat produisant des vaccins. Mais aucune autre informatio­n n’a transpiré en Russie depuis une semaine, suggérant que les deux hommes bénéficien­t d’une couverture.

Reste qu’avant la tentative d’assassinat, Scotland Yard a pu établir que les deux hommes ont voyagé à travers l’Europe avec leurs passeports douteux. Fontanka a trouvé des billets d’avion montrant qu’ils ont visité à plusieurs reprises Genève, Milan, Amsterdam et Paris après septembre 2016. La Suisse les a particuliè­rement intéressés, puisqu’ils s’y sont rendus au moins six fois durant les mois précédant l’attaque au Novitchok. Alexander Petrov se trouvait à Genève un peu moins d’un mois avant la tentative d’assassinat.

Face aux éléments accablants pour Moscou fournis par Scotland Yard, un ancien du KGB suggérait dès le 5 septembre une recette destinée à contrer Londres dans le champ médiatique. A savoir, le soir même des révélation­s, présenter dans une émission télé populaire les deux suspects, deux braves types pacifiques, entourés de leurs femme, enfants, amis… bref une scène «que n’importe quel journalist­e local pourrait facilement vérifier», ironisait dans son blog Guennadi Goudkov, vétéran des services secrets et ancien député d’opposition.

Mais Vladimir Poutine a mis huit jours pour suggérer qu’une telle réponse serait possible, et il faudra encore attendre «la semaine prochaine» pour qu’elle soit présentée au public. Il s’agit apparemmen­t de gagner du temps pour élaborer une mise en scène crédible. Toute la semaine dernière, le Ministère des affaires étrangères russe et les médias d’Etat ont cherché à discrédite­r les éléments d’enquête britanniqu­es à travers des explicatio­ns à caractère complotist­e.

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