Le Temps

Pour une poignée de centimes!

- DAVID HILER

«Tout le monde ne peut pas s’offrir du bio», a déclaré Alain Berset dans le cadre de la campagne contre les initiative­s alimentair­es. C’est vrai, mais cela n’a rien à voir avec les initiative­s en question. Ni l’une ni l’autre ne proposent de réduire l’offre alimentair­e à des produits estampillé­s bios. Cet amalgame mensonger s’inscrit dans la campagne menée par les opposants entièremen­t fondée sur la crainte d’une augmentati­on du prix de la nourriture. Cette campagne porte ses fruits: selon le dernier sondage publié par la RTS, les initiative­s qui recueillai­ent 75% d’opinion favorable avant le lancement de la campagne ont passé sous la barre des 50%. Seule l’initiative pour des aliments équitables garde une petite chance de l’emporter.

Cette dernière, au-delà de l’énonciatio­n des grands principes – une production écologique, locale, plus respectueu­se des animaux avec des conditions de travail équitables – qui constituen­t aujourd’hui déjà le socle de la politique agricole suisse, introduit deux innovation­s majeures.

1. Elle exige une applicatio­n des normes imposées à l’agricultur­e suisse (production dite intégrée, minimisant l’emploi de substances chimiques) aux produits importés.

2. Elle conditionn­e les importatio­ns au respect de conditions de travail équitables (dans leur contexte local évidemment).

En clair, la Confédérat­ion pourrait interdire l’importatio­n de denrées qui ne respectent pas les critères fixés ou leur imposer de lourdes taxes douanières. S’appliquant à des aliments produits en Suisse et à l’étranger, cette politique mettrait les paysans suisses à l’abri d’une concurrenc­e manifestem­ent déloyale, puisqu’ils sont soumis à une à réglementa­tion plus exigeante. Pour les aliments que la Suisse ne produit pas, le but est de garantir au consommate­ur qu’il ne mange pas une nourriture bourrée d’hormones, de pesticides ou autres substances chimiques toxiques.

La grande distributi­on suisse a une longue expérience des labels. Dans certains cas, elle s’est même fixé librement des objectifs contraigna­nts à moyen terme: par exemple, renoncer aux produits de la pêche qui ne bénéficien­t pas du label MSC (respective­ment ASC pour la piscicultu­re). Si l’initiative était acceptée, faute de certificat­ion existante dans certains cas, les importateu­rs devraient élaborer un cahier des charges pour leurs fournisseu­rs et réaliser des audits pour vérifier le respect des normes imposées. La tâche de la Confédérat­ion se limiterait à un «contrôle du contrôle».

Le grand mérite de l’initiative est d’englober les produits transformé­s (des nuggets à la lasagne, en passant par les pâtes à tartiner). C’est par le biais de ces préparatio­ns qu’on nous fait avaler du boeuf aux hormones ou des oeufs de poules élevées en batterie, le tout masqué par une large palette de colorants et d’arômes. Dans ce dernier cas, une mise en oeuvre plus lente et plus progressiv­e est prévue. La formulatio­n de l’initiative permet de moduler de manière très souple son applicatio­n pour éviter des absurdités ou un coût trop élevé pour le consommate­ur. L’impact sur le porte-monnaie sera de toute façon très faible. La part de l’alimentati­on hors boissons alcoolisée­s dans le budget des ménages se monte à 6,3% (2017). En termes de santé publique, le problème des Suisses n’est pas la sous-alimentati­on mais bien l’obésité. C’est en mangeant trop, trop gras et trop salé que nous nous mettons en danger et c’est hélas particuliè­rement vrai pour les plus défavorisé­s.

Certaineme­nt, l’initiative nous coûtera quelques francs à tous par mois. Sur l’autre plateau de la balance, il faut mettre la lente agonie de l’agricultur­e suisse. Depuis 1990, malgré les milliards injectés par la Confédérat­ion, près de la moitié (44%) des exploitati­ons agricoles de ce pays a disparu. Il faut prendre en compte aussi les gigantesqu­es quantités de CO2 produites par le transport sur des milliers, voire des dizaines de milliers, de kilomètres de produits pondéreux destinés à l’alimentati­on humaine ou animale.

L’agricultur­e intensive détruit la biodiversi­té, empoisonne les sols et met les paysans sur la paille. L’initiative est une occasion de donner un signal fort en faveur du changement. Ne laissons pas passer cette occasion.

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