Alexandre Benalla, la vraie-fausse affaire d’Etat
S’agit-il d’un «Watergate à la française»? Peut-on dire que les institutions républicaines ont été mises en danger par le comportement d’Alexandre Benalla, le 1er mai dernier, sur la place de la Contrescarpe, à deux pas de l’ancien domicile parisien du viril écrivain américain Ernest Hemingway? La réponse est deux fois non. L’exgarde du corps d’Emmanuel Macron, débarqué à l’Elysée en provenance de son staff de campagne et rémunéré 6000 euros par mois comme «agent contractuel au sein du cabinet du président de la République», n’était, sur la base des informations actuellement disponibles, ni l’ombre portée de ce dernier, ni le chef d’une quelconque camarilla présidentielle. Embauché sans doute un peu vite grâce à ses états de service passés au Parti socialiste, ce gorille de 26 ans était à l’évidence doué pour se faire une place dans les coulisses du pouvoir. Mais son pouvoir réel – ce n’est pas négligeable – se limitait à son accès au président.
Ces précisions ont leur importance au moment où le Sénat français, contrôlé par l’opposition de droite, a commencé mercredi les auditions de sa commission d’enquête devant laquelle Alexandre Benalla a finalement accepté de se présenter le 19 septembre. Certes, et nous l’avions écrit, la «tentation de l’abus de pouvoir» est bel et bien l’arrière-plan des événements du 1er Mai. Un garde du corps transformé en policier grâce à ses bons contacts avec la hiérarchie sécuritaire. Un état-major chargé de protéger l’Elysée transformé en maquis où chacun cherche à tirer la couverture à soi pour s’attirer les faveurs de Jupiter-Macron. Une administration élyséenne approximative, voire mensongère, sur les sanctions imposées à ce conseiller colérique et prompt à casser du manifestant. Tout cela, mis bout à bout, est inquiétant. Mais revenons aux faits: la «barbouze» Benalla n’a – sauf révélations à venir – pas commandité de cambriolage, pas participé à une chaîne de commandement parallèle, pas trempé dans des affaires opaques à gogo pour le compte de son patron…
Un autre volet de cette affaire mérite aussi d’être éclairci. Il concerne les dégâts causés par les black blocs, quelques heures avant l’assaut de Benalla sur deux présumés manifestants, du côté de la gare d’Austerlitz. Que sont devenus, depuis, les émeutiers appréhendés? Sait-on, oui ou non, si certains d’entre eux avaient choisi de fuir les policiers en trouvant refuge place de la Contrescarpe? Bref: pourquoi les CRS campent-ils autour de cette place sympathique alors que les vitrines ont volé en éclats plus bas? Alexandre Benalla, qui avait officiellement obtenu l’autorisation de suivre les forces antiémeutes, était-il là parce que des black blocs tentaient de s’y faire oublier, entre les badauds? Les jets de pierres contre les policiers mentionnés par ses soins ont-ils bien eu lieu? Et pourquoi, sauf erreur, les deux manifestants jetés à terre par le garde du corps présidentiel ne se retrouvent-ils pas, eux aussi, auditionnés par les sénateurs alors qu’ils ont décidé de se porter partie civile?
L’écume politique est un piège. Deux mois après les faits, la précision, la reconstitution exacte des événements et les demandes supplémentaires d’explications adressées à l’Elysée doivent être la priorité. D’un côté, un garde du corps de 26 ans au tempérament rageur, bien décidé à faire oublier sous les ors de l’Elysée ses origines marocaines, son changement de prénom (Alexandre au lieu de Maroine) lié semblet-il aux accès de violence paternelle, et son manque de qualifications pour assurer un travail aussi sensible de protection rapprochée, qui exige maniement des armes et résistance psychologique. De l’autre, un pouvoir présidentiel courroucé d’être soupçonné, pris dans l’étau de l’amateurisme du début de mandat, coincé par les amitiés nouées lors d’une campagne électorale menée à la hussarde.
L’affaire Benalla n’est pas le «Watergate». Elle n’est pas le produit d’une machination et d’une volonté délibérée de s’affranchir des règles de l’Etat de droit. Elle relève de l’accident professionnel. De «l’ivresse» personnelle d’un homme à qui ses supérieurs avaient eu le grand tort de laisser croire qu’il était devenu – comme eux? – le 7 mai 2017, un «affranchi» de la République.
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