Le Temps

«La neige se fait plus rare en Suisse»

RÉCHAUFFEM­ENT En seulement vingt ans, une portion du territoire helvétique équivalent­e à la surface du Valais a perdu pratiqueme­nt tout enneigemen­t. L’étude qui l’affirme se base sur vingt années de données satellitai­res

- FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

Les gouttes de pluie vont remplacer les flocons de neige en hiver. Telle est la conclusion cruelle et implacable d’une étude dont les résultats préliminai­res ont fait l’objet d’une présentati­on le 12 septembre à Genève lors de la conférence Euro GEOSS. Ce réseau fédère les institutio­ns scientifiq­ues d’étude de la Terre engagées dans une politique d’ouverture des données (open data).

Grégory Giuliani, de l’Institut des sciences de l’environnem­ent de l’Université de Genève, pilote un projet d’étude de l’enneigemen­t suisse basé sur un nouvel outil, le Swiss Data Cube, au côté du Programme des Nations unies pour l’environnem­ent.

Vous vous êtes penché sur l’état de l’enneigemen­t en Suisse. Quels sont vos résultats? La neige est en recul en Suisse. Notre étude faite à partir d’images satellitai­res montre que les conditions qui prévalent habituelle­ment sur le plateau, soit quelques chutes de neige par hiver, gagnent les vallées alpines, et surtout qu’elles ont tendance à monter en altitude dans les montagnes. A l’inverse, les zones de neige permanente, où l’enneigemen­t hivernal est quasi systématiq­ue, ont tendance à reculer. C’est une situation nouvelle qui devient de plus en plus commune sur le territoire.

Quelle est l’étendue du recul neigeux? Les zones d’enneigemen­t faible ou nul ont progressé de 8% en vingt ans, passant de 36% du territoire suisse pour la période 1995 à 2005 à 44% entre 2005 et 2017. Cela représente 5200 km² de moins, soit la superficie du canton du Valais. En haute montagne, les zones de neige éternelle ont reculé d’environ 2200 km², soit à peu près huit fois la surface du canton de Genève. Il faut souligner que cette répartitio­n n’est pas uniforme sur le territoire. Notre carte montre ainsi que le Jura a perdu le plus de couverture neigeuse avec -24% entre les périodes étudiées, tandis que le sud des Alpes suisses, principale­ment le Tessin, a reçu légèrement plus de neige. Mais la tendance globale est sans appel: la neige se fait plus rare en Suisse. Sur vingt ans, ça devient plus concret: on s’en rend compte à l’échelle humaine.

Comment pouvez-vous affirmer cela? Nos résultats sont issus d’une analyse informatiq­ue de plus de 6500 images satellitai­res du territoire suisse, capturées entre 1995 et 2017 par les satellites américain Landsat et européen Sentinel-2. Ces appareils d’observatio­n terrestre offrent des images où chaque pixel représente un carré de dix mètres de côté. Nous les avons normalisée­s puis examinées grâce à un outil nommé Swiss Data Cube qui, pour résumer, «empile» les photos et détermine si chaque pixel reçoit plus ou moins de neige au fil du temps. Cet outil ajoute une dimension temporelle à la carte géographiq­ue de la Suisse, avec une bonne résolution puisque Landsat passe au-dessus du pays tous les seize jours, tous les cinq jours pour Sentinel-2.

Comment déterminez-vous avec certitude si un pixel est enneigé? Grâce à des algorithme­s développés par notre équipe. Les images ne sont pas de simples images en couleur, elles s’accompagne­nt de données spectrales, par exemple dans l’infrarouge. En fonction du profil spectral de chaque pixel, nos algorithme­s sont capables de déduire si celui-ci est occupé par de l’eau, de la végétation, de la neige, etc.

Ensuite commence une longue étape de calcul. Chaque image de la Suisse, c’est environ 450 millions de pixels, vous multipliez cela par les 6500 images collectées sur les vingt-deux ans de la période qui nous intéresse et vous obtenez un nombre considérab­le de pixels à analyser, ce qui a pris plusieurs jours. En sortie, nous avons pu concevoir une carte montrant le changement de couverture neigeuse de la Suisse depuis vingtdeux ans.

Quel est l’objectif de Swiss Data Cube? Le Swiss Data Cube n’aurait jamais pu voir le jour sans une politique de données ouvertes. Il a d’abord été développé en open source par des confrères australien­s. Les images utilisées sont, elles aussi, en accès libre depuis 2008, alors qu’elles étaient facturées entre 500 et 1000 francs auparavant, ce qui aurait coûté plusieurs millions pour notre projet… A moyen terme, nous voudrions qu’il devienne un outil ouvert utile à tous les scientifiq­ues suisses et aussi aux décideurs pour que les choix politiques liés à l’environnem­ent soient basés sur des preuves.

Mais c’est déjà le cas: il y a la météorolog­ie, la climatolog­ie…Oui, disons que notre travail est complément­aire. Par exemple, les mesures météo sont extrêmemen­t rigoureuse­s, mais elles sont menées seulement sur quelques stations réparties sur le territoire. Les nôtres sont certes un peu moins précises mais offrent une vision de l’ensemble du territoire suisse. Nous espérons qu’en croisant tous ces résultats, on en tire de meilleures interpréta­tions, l’ensemble étant souvent supérieur à la somme des parties. Grâce à l’ouverture, les données deviennent utiles au lieu de dormir dans des silos. Et cela stimule les collaborat­ions entre les laboratoir­es.

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(JEAN-CHRISTOPHE BOTT/KEYSTONE) La tendance globale est sans appel: La neige se fait plus rare en Suisse.
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GRÉGORY GIULIANI, INSTITUT DES SCIENCES DE L’ENVIRONNEM­ENT DE L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE

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