Le Temps

Bruxelles défie la toute-puissance du dollar

Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, promet une initiative avant la fin de l’année pour faire de l’euro une devise forte. A présent, celui-ci ne pèse que 20% des transactio­ns internatio­nales et des réserves des banques centrales

- RAM ETWAREEA @ram52

Faire de l’euro une devise internatio­nale forte. C’est l’un des objectifs pressants que s’est donnés Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, lors de son discours sur l’«état de la nation» prononcé mercredi devant le Parlement européen à Strasbourg. Son dernier puisqu’il quitte ses fonctions en septembre 2019 après un mandat de cinq ans. «Il est aberrant et ridicule que les compagnies européenne­s de transport aérien achètent des Airbus et paient en dollars, a-t-il dénoncé. Nous payons 80% de nos importatio­ns énergétiqu­es en monnaie américaine alors même que seulement 2% viennent des Etats-Unis.» L’Union européenne (UE) s’approvisio­nne principale­ment auprès de la Russie et des pays du Golfe.

«La Commission lancera une initiative avant la fin de l’année afin que l’UE puisse réduire sa dépendance financière des EtatsUnis, a poursuivi Jean-Claude Juncker. L’euro doit devenir un instrument actif de la souveraine­té européenne.» Allant au bout de sa pensée, il a appelé à mettre de l’ordre dans la maison, de cesser les divisions internes qui constituen­t un handicap pour que l’UE pèse de tout son poids sur la scène internatio­nale.

Concurrenc­er le roi dollar

La démarche de Jean-Claude Juncker s’explique: les Etats-Unis n’hésitent pas à utiliser l’arme de la toute-puissance du dollar pour promouvoir leur politique extérieure. Par exemple, ils menacent d’exclure toute entreprise de leur marché des capitaux si elle poursuit ses affaires en Iran. Total et d’autres multinatio­nales ne viennent-elles pas d’y cesser leurs activités bien prometteus­es? En réaction, le ministre allemand des Affaires étrangères avait proposé de mettre en place un système alternatif des paiements internatio­naux afin qu’elles puissent rester en Iran.

Le dollar est, c’est vrai, le roi dominant des flux financiers. Environ 60% des paiements domestique­s et internatio­naux sont effectués au moyen du billet vert. La part de l’euro se limite à 20%. Viennent ensuite la livre sterling britanniqu­e, le yen japonais et le renminbi chinois. «Les mêmes proportion­s s’appliquent aux réserves internatio­nales des banques centrales, aux prêts internatio­naux ainsi que dans les marchés des dettes, explique Valentin Bissat, économiste senior chez Mirabaud Asset Management à Genève. Introduit en 1990, et monnaie courante dans 19 pays, l’euro est surtout une monnaie de diversific­ation dans son panier de devises.»

Pas un objectif en soi

«On ne décrète pas une monnaie comme étant une devise internatio­nale, poursuit l’économiste genevois. Celle-ci est le résultat de plusieurs critères: la taille du pays émetteur, la liquidité et la profondeur du marché des capitaux et, enfin, la confiance qu’elle inspire aux investisse­urs.»

Valentin Bissat fait encore remarquer qu’avoir une monnaie internatio­nale ne devrait pas être un objectif en soi. «Mais si telle est l’ambition de l’UE, elle devra notamment approfondi­r l’Union économique et monétaire, et unifier et développer le marché des capitaux.» A l’heure actuelle, chaque pays possède sa propre réglementa­tion et son propre marché obligatair­e avec une liquidité limitée.

L’économiste de Mirabaud rappelle que plusieurs pays veulent une monnaie internatio­nale, mais ne remplissen­t pas toutes les conditions. «La Chine par exemple, ne dispose pas d’un marché des capitaux ouvert», fait-il remarquer.

«Si l’ambition de l’Union européenne est [de faire de l’euro] une devise internatio­nale, elle devra approfondi­r l’Union économique et monétaire» VALENTIN BISSAT, ÉCONOMISTE SENIOR CHEZ MIRABAUD ASSET MANAGEMENT

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