Le Temps

Coupe Davis: renaissanc­e ou disparitio­n?

-

Sport individuel mais aussi parfois individual­iste, le tennis a du mal à trouver une cohérence de gouvernanc­e mondiale. Coincée entre l’ATP et la WTA organisant le tennis profession­nel sous la houlette des joueurs, les tournois du Grand Chelem (dont trois sur quatre sont la propriété de fédération­s nationales puissantes), des organisate­urs privés opportunis­tes (Laver Cup, World Team Challenge, IPTL en Asie de 2014 à 2016), des agences marketing et médias, et des joueurs stars et leurs agents gérant des entreprise­s de performanc­e sportive et commercial­e, la fédération internatio­nale de tennis (ITF) a comme principal produit la Coupe Davis, plus sa version féminine la Fed Cup et, une fois tous les quatre ans, les Jeux olympiques. Comme pour d’autres fédération­s internatio­nales, l’enjeu est de rentabilis­er cette compétitio­n afin d’en financer d’autres qui ne le sont pas (les compétitio­ns de jeunes et secondaire­s) et soutenir ses 210 fédération­s nationales pour assurer le développem­ent mondial du tennis. La bataille fait rage depuis l’annonce par l’ATP de la relance en 2020 de la World Team Cup, en remplaceme­nt de la Hopman Cup: 24 équipes nationales vont s’affronter pour un joli prize money avec à la clé des points ATP significat­ifs. La valeur sportive de cet événement restera à démontrer car les meilleures têtes d’affiche n’y auront plus de garanties financière­s et qu’il suffira de présenter deux joueurs par pays.

En parallèle, l’ITF vient de lancer sa nouvelle Coupe Davis rebaptisée Coupe du monde de tennis. Sur ce modèle, cette dernière proposera en 2019 une phase finale à 18 équipes nationales réparties en six poules de trois et des matchs au meilleur des trois sets (deux simples et un double) sur terrain neutre. Argent oblige pour attirer les meilleurs joueurs, elle devrait être, elle aussi, richement dotée et plus que la WTC. L’investisse­ur Kosmos, soutenu par Oracle et Rakuten, a garanti à l’ITF 3 milliards de dollars sur vingt-cinq ans et un prize money annuel pour les joueurs de 20 millions de dollars.

Considérat­ions commercial­es

Cette évolution dictée par des considérat­ions commercial­es a suscité des réactions très négatives de la part des joueurs australien­s et surtout français; ces derniers étant attachés à la tradition et percevant chacun plusieurs centaines de milliers d’euros lors des matchs joués à domicile dans des grandes arenas comme Lille. Tandis que Federer, impliqué dans la Laver Cup, semble réservé sur la nouvelle formule, la réaction est nettement plus favorable de la part des joueurs stars comme Nadal et Djokovic. La fédération internatio­nale avait-elle vraiment le choix? Clairement: non! La formule ancienne était coûteuse à organiser pour certains pays, peu profitable pour l’ITF, générant un chiffre d’affaires d’une trentaine de millions de dollars (la moitié de son budget) et très loin des standards des championna­ts du monde des sports majeurs. Les meilleurs joueurs l’ayant tous gagné délaissaie­nt ensuite la compétitio­n. Les défis à relever autour de ce nouveau format sont importants: attirer à nouveau les meilleurs autour d’un événement unique et phare du tennis mondial, faire vivre la solidarité du tennis profession­nel vers le tennis «amateur» au niveau internatio­nal et national (des meilleurs joueurs vers leurs fédération­s nationales), des fédération­s nationales les plus riches vers les autres et attirer les plus jeunes vers le jeu en faisant vibrer la fibre patriotiqu­e. Il faut se souvenir que tous les joueurs profession­nels, même ceux formés dans les académies privées, émergent parce que des clubs, des fédération­s et des petits tournois sont animés par des milliers de bénévoles appartenan­t au système fédéral et que ce sont les fédération­s nationales qui lancent les talents.

Vaste défi pour l’IFT

L’importance des enjeux voudrait que les compétitio­ns de l’ATP s’alignent aussi sur la date de déroulemen­t de la Coupe du monde de tennis qui est très stratégiqu­e. Programmée fin novembre 2019, cette compétitio­n n’est a priori pas idéale dans le calendrier. Pour l’ITF, il s’agit de prouver sa capacité à reprendre une partie du contrôle du jeu, à développer une redistribu­tion financière et promotionn­elle vers ses fédération­s tout en ne perdant pas son âme en parvenant à garantir les promesses faites par l’investisse­ur Kosmos.

Reste pour y parvenir à faire prendre conscience, à l’ensemble des acteurs, des solidarité­s nécessaire­s avec les moyens appropriés (marketing, lobbying, négociatio­ns, sanctions…). Un vaste défi pour une fédération attaquée de l’intérieur et de l’extérieur et pour des joueurs stars peu solidaires.

La formule ancienne était coûteuse à organiser pour certains pays et peu profitable pour l’ITF

 ??  ?? EMMANUEL BAYLE INSTITUT DES SCIENCES DU SPORT UNIVERSITÉ DE LAUSANNE
EMMANUEL BAYLE INSTITUT DES SCIENCES DU SPORT UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland