La politique de concurrence est une politique de pouvoir
Les Etats-Unis continuent d’être les profiteurs du prétendu combat de l’OCDE contre les oasis fiscales. Actuellement, les banques suisses livrent à l’administration états-unienne les premières données de clients venus de 38 pays
Qui profite des nouveaux standards globaux en matière fiscale? Transparence et règles identiques pour tout le monde: c’est ainsi du moins que l’OCDE avait vendu et imposé ses normes, notamment à la place financière suisse. Les instruments qui permettent de les mettre en oeuvre sont la loi fiscale américaine Fatca et l’échange international d’informations (AIA). Du coup, à fin juin, les banques suisses ont intégralement livré dans les délais à l’Administration fédérale des contributions (AFC) les données 2017 de leurs clients venus de 38 pays. Pour 43 autres Etats, les données seront recueillies pour la première fois au cours de l’année. Le premier échange effectif de données entre l’AFC et les administrations fiscales étrangères aura lieu cet automne. Selon l’Association suisse des banquiers (ASB), la mise en oeuvre de l’AIA a coûté aux banques plus de 500 millions de francs.
A sens unique
Et tout va bien? Pas du tout. «Avec les Etats-Unis, c’est à sens unique. L’échange des données de comptes ne fonctionne pas comme prévu», titre la Süddeutsche Zeitung. Elle cite la réponse du gouvernement allemand à une intervention parlementaire sur le Fatca. Malgré l’engagement bilatéral visant à mettre sur pied un échange réciproque d’informations, les Etats-Unis n’ont presque rien fourni. Washington a pourtant pu faire payer des profiteurs de sociétés boîtes à lettres à l’étranger mais, en même temps, elle a protégé ses propres oasis fiscales. Pour 2017, on parle de plus de 300000 cas de citoyens ou sociétés américains qui auraient réalisé des revenus en Allemagne.
«Au plan international, nos autorités devraient s’engager vigoureusement pour le respect absolu du principe Level Playing Field par nos concurrents étrangers», exigeait Boris Collardi il y a six mois déjà. Pour l’ex-président de l’Association des banques suisses de gestion (ABG), cela vaut en particulier pour l’application de l’échange automatique international d’informations (AIA) en matière fiscale. Les Etats-Unis n’en ont rien eu à faire.
Les Etats-Unis ne jouent pas le jeu
«Le fait que les Etats-Unis, grande place financière, ne participent pas à l’AIA est incompréhensible», assène la porte-parole de l’ASB Michaela Reimann. Pour elle, il est indispensable que tout le monde soit traité à la même aune. Pour ce faire, la Suisse doit s’engager dans les cénacles internationaux. Car au bout du compte, la place financière est affectée en particulier par l’AIA, puisque c’est ici qu’environ un quart des fortunes internationales investies sont gérées.
Du point de vue du private banking, il existe en outre l’exigence centrale que tous les Etats partenaires de l’AIA «respectent strictement» les critères prévus, pense Michaela Reimann. En font partie la confidentialité, la protection et la sécurité des données. C’est pourquoi l’ASB juge «spécialement important» l’arrêté fédéral sur le mécanisme de vérification à ce propos. Il s’applique à vrai dire avant tout à la seconde vague d’Etats partenaires de l’AIA. Mais s’il devait se vérifier qu’avec la première livraison de données cet automne les Etats-Unis ne jouent pas le jeu, avec ce mécanisme de révision le gouvernement suisse aurait au moins théoriquement une porte de sortie pour freiner le flux de données vers les Etats-Unis.
Une autre voie pour corriger le caractère unilatéral de la livraison de données depuis la Suisse est le mandat de négociation du Conseil fédéral de l’automne 2014. Par ce mandat, les négociateurs suisses sont chargés de discuter d’un passage à un accord de réciprocité Fatca. Dans l’accord en vigueur à ce jour, le Conseil fédéral avait, pour des raisons inexpliquées, négligé de fixer la réciprocité de l’échange d’informations. On ne connaît pas pour l’instant le résultat de ces négociations. Il semble que l’on se trouve, avec d’autres Etats qui ont également conclu l’accord Fatca, «en pleines négociations intensives avec les Etats-Unis», répond le Ministère allemand des finances à l’intervention parlementaire mentionnée ci-dessus. On ignore cependant si et comment la Suisse est impliquée dans ces entretiens intensifs.
«Le fait que les Etats-Unis, grande place financière, ne participent pas à l’échange est incompréhensible.»