Le Temps

La politique de concurrenc­e est une politique de pouvoir

Les Etats-Unis continuent d’être les profiteurs du prétendu combat de l’OCDE contre les oasis fiscales. Actuelleme­nt, les banques suisses livrent à l’administra­tion états-unienne les premières données de clients venus de 38 pays

- JOHANNES J. SCHRANER

Qui profite des nouveaux standards globaux en matière fiscale? Transparen­ce et règles identiques pour tout le monde: c’est ainsi du moins que l’OCDE avait vendu et imposé ses normes, notamment à la place financière suisse. Les instrument­s qui permettent de les mettre en oeuvre sont la loi fiscale américaine Fatca et l’échange internatio­nal d’informatio­ns (AIA). Du coup, à fin juin, les banques suisses ont intégralem­ent livré dans les délais à l’Administra­tion fédérale des contributi­ons (AFC) les données 2017 de leurs clients venus de 38 pays. Pour 43 autres Etats, les données seront recueillie­s pour la première fois au cours de l’année. Le premier échange effectif de données entre l’AFC et les administra­tions fiscales étrangères aura lieu cet automne. Selon l’Associatio­n suisse des banquiers (ASB), la mise en oeuvre de l’AIA a coûté aux banques plus de 500 millions de francs.

A sens unique

Et tout va bien? Pas du tout. «Avec les Etats-Unis, c’est à sens unique. L’échange des données de comptes ne fonctionne pas comme prévu», titre la Süddeutsch­e Zeitung. Elle cite la réponse du gouverneme­nt allemand à une interventi­on parlementa­ire sur le Fatca. Malgré l’engagement bilatéral visant à mettre sur pied un échange réciproque d’informatio­ns, les Etats-Unis n’ont presque rien fourni. Washington a pourtant pu faire payer des profiteurs de sociétés boîtes à lettres à l’étranger mais, en même temps, elle a protégé ses propres oasis fiscales. Pour 2017, on parle de plus de 300000 cas de citoyens ou sociétés américains qui auraient réalisé des revenus en Allemagne.

«Au plan internatio­nal, nos autorités devraient s’engager vigoureuse­ment pour le respect absolu du principe Level Playing Field par nos concurrent­s étrangers», exigeait Boris Collardi il y a six mois déjà. Pour l’ex-président de l’Associatio­n des banques suisses de gestion (ABG), cela vaut en particulie­r pour l’applicatio­n de l’échange automatiqu­e internatio­nal d’informatio­ns (AIA) en matière fiscale. Les Etats-Unis n’en ont rien eu à faire.

Les Etats-Unis ne jouent pas le jeu

«Le fait que les Etats-Unis, grande place financière, ne participen­t pas à l’AIA est incompréhe­nsible», assène la porte-parole de l’ASB Michaela Reimann. Pour elle, il est indispensa­ble que tout le monde soit traité à la même aune. Pour ce faire, la Suisse doit s’engager dans les cénacles internatio­naux. Car au bout du compte, la place financière est affectée en particulie­r par l’AIA, puisque c’est ici qu’environ un quart des fortunes internatio­nales investies sont gérées.

Du point de vue du private banking, il existe en outre l’exigence centrale que tous les Etats partenaire­s de l’AIA «respectent strictemen­t» les critères prévus, pense Michaela Reimann. En font partie la confidenti­alité, la protection et la sécurité des données. C’est pourquoi l’ASB juge «spécialeme­nt important» l’arrêté fédéral sur le mécanisme de vérificati­on à ce propos. Il s’applique à vrai dire avant tout à la seconde vague d’Etats partenaire­s de l’AIA. Mais s’il devait se vérifier qu’avec la première livraison de données cet automne les Etats-Unis ne jouent pas le jeu, avec ce mécanisme de révision le gouverneme­nt suisse aurait au moins théoriquem­ent une porte de sortie pour freiner le flux de données vers les Etats-Unis.

Une autre voie pour corriger le caractère unilatéral de la livraison de données depuis la Suisse est le mandat de négociatio­n du Conseil fédéral de l’automne 2014. Par ce mandat, les négociateu­rs suisses sont chargés de discuter d’un passage à un accord de réciprocit­é Fatca. Dans l’accord en vigueur à ce jour, le Conseil fédéral avait, pour des raisons inexpliqué­es, négligé de fixer la réciprocit­é de l’échange d’informatio­ns. On ne connaît pas pour l’instant le résultat de ces négociatio­ns. Il semble que l’on se trouve, avec d’autres Etats qui ont également conclu l’accord Fatca, «en pleines négociatio­ns intensives avec les Etats-Unis», répond le Ministère allemand des finances à l’interventi­on parlementa­ire mentionnée ci-dessus. On ignore cependant si et comment la Suisse est impliquée dans ces entretiens intensifs.

«Le fait que les Etats-Unis, grande place financière, ne participen­t pas à l’échange est incompréhe­nsible.»

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(JANNIS CHAVAKIS / 13 PHOTO) Un groupe financier suisse indépendan­t: quarante-quatre pour cent des actions sont en possession des collaborat­eurs et d’investisse­urs de référence.

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