Le Temps

Martina Müller-Kamp, Chief Investment Officer de la Banque cantonale des Grisons, évoque les qualités des femmes

Martina Müller-Kamp, la Chief Investment Officer de la Banque cantonale des Grisons évoque les qualités particuliè­res des femmes dans l’investisse­ment

- PROPOS RECUEILLIS PAR CARMEN SCHIRM-GASSER

Il se dit souvent dans la presse que les femmes investisse­nt plus finement. Quelle est votre expérience à ce propos? A mon avis, c’est bien le cas.

Pourquoi? Cela tient d’abord au fait que les femmes sont moins enclines au risque, elles achètent et vendent moins que les hommes et succombent moins souvent à la tendance de se surestimer. Il existe des études empiriques indiquant que les femmes obtiennent de meilleurs rendements que les hommes.

Dans quelle mesure les femmes se surestimen­t-elles moins? A la différence des jeunes hommes, les femmes commettent moins ces erreurs d’investisse­ment classiques contre lesquelles nous mettons en garde. Sous prétexte qu’ils lisent régulièrem­ent le journal, les jeunes hommes ont souvent l’impression de posséder des facultés de pronostic hors du commun. Leurs avoirs sont insuffisam­ment diversifié­s; en ne cessant d’acheter et de vendre, ils engendrent des coûts élevés ou alors ils conservent trop longtemps de mauvais titres et vendent trop précipitam­ment les bons. Existe-t-il quelque chose comme l’intuition féminine dans l’investisse­ment? A mon avis, les sensations ne sont d’aucun secours quand on investit.

On dit que les femmes investisse­nt plus volontiers selon des critères écologique­s et sociaux. C’est vrai? Je ne peux pas le confirmer. De manière générale, rares sont nos clients privés à demander de la durabilité. Ce n’est que pour les clients institutio­nnels que la durabilité est un sujet important. Cela dit, il est désormais évident que la durabilité est un facteur de rentabilit­é au sein d’un portefeuil­le.

Bien agir et faire du rendement, ça marche? Oui, absolument.

J’ai rarement vu des femmes lire ou regarder les bulletins boursiers. A quoi cela tient-il, selon vous? Bonne question. Au fil des ans, j’ai remarqué qu’il y a peu de femmes qui aiment parier sur les marchés. Cette compétitio­n, ce désir d’être bien investi, de gagner de l’argent sont peut-être plus des traits masculins.

Combien de femmes comptez-vous dans votre clientèle? Les femmes viennent souvent nous voir en compagnie de leur mari. Les clientes qui arrivent seules sont au maximum 10%.

Si peu? Comment expliquez-vous cela? Je constate à tout instant que les femmes d’un certain âge n’ont pas envie de s’occuper de leurs finances. Or les divorces sont aujourd’hui bien plus fréquents que naguère et les femmes deviennent tendanciel­lement plus âgées que leur mari. Un jour ou l’autre, ces femmes sont bien obligées de veiller à leurs finances.

Les femmes souhaitent-elles être conseillée­s par une femme? Non. Pour les femmes, d’autres choses importent.

Comme quoi? Pour une femme, il est important qu’il y ait une bonne alchimie avec le conseiller, qu’il s’établisse une relation de confiance. Ce lien peut se créer aussi bien avec un homme qu’avec une femme.

Donc, pas besoin de conseiller les femmes différemme­nt? Sur le plan technique, non. Sur le plan personnel, il faut choisir une approche différente.

Qu’est-ce qui ne convient pas aux femmes? Les femmes ne veulent pas être persuadées ni entendre des formules toutes faites.

Quelle est la faute capitale que les femmes pourraient commettre en matière de finances? Les femmes devraient prendre leurs finances en main toutes seules et ne pas laisser d’autres s’en charger. Ni procrastin­er sans cesse. Lorsqu’on commence à 60 ans à mettre de l’ordre dans ses finances, c’est plus difficile que lorsqu’on a commencé à 20 ans.

Votre conseil aux débutantes? Il est important d’avoir une bonne base théorique en matière de finance. On peut acquérir cette connaissan­ce dans des livres ou par des entretiens avec son conseiller de banque. En plus, il faut se faire confiance et tout simplement se lancer. Pour ce faire, il ne faut pas forcément beaucoup d’argent. On peut commencer petit en achetant, par exemple, un fonds stratégiqu­e.

A partir de quel montant cela a-t-il du sens? A partir de 100 francs. De nos jours, on peut acheter de bons fonds avec peu d’argent. Laisser traîner l’argent sur un compte d’épargne n’a vraiment aucun sens. On dirait qu’il n’y a rien de plus passionnan­t pour vous que la bourse. Je suis d’un naturel très compétitif. J’aime jouer, j’aime parier, j’aime gagner. Cela me procure une énorme satisfacti­on de faire les bonnes recommanda­tions, de battre le marché et la concurrenc­e. J’adore développer des modèles à l’aide desquels on peut se discipline­r pour ne pas répéter les erreurs que l’on fait par nature.

Sincèremen­t, vous vous tenez à certaines règles? A 95%. Plus on acquiert de l’expérience, plus on devient discipliné. Et humble. Une fois ou l’autre, on a fait toutes sortes d’erreurs. Il s’agit de ne pas les répéter.

Quel a été votre dernier pari bien récompensé? Il n’y a pas un pari qui se réalise. Il n’y a que de tout petits paris. A en croire une étude d’e-fundresear­ch.com cette année, le fonds d’actions Monde, géré par mon équipe, fait partie des plus forts de Suisse. Spéculez-vous aussi avec vos avoirs privés? Oui.

Avec quel succès? J’ai déjà commis beaucoup d’erreurs et j’en suis arrivée à la conclusion que seul un processus d’investisse­ment discipliné, auquel on se conforme par-delà les années, peut engendrer une surperform­ance. Et non un pari que je me suis goupillé le matin sous la douche.

Comment êtes-vous arrivée à cette fonction? Ce fut un pur hasard. Je n’ai jamais voulu travailler dans une banque. A l’époque, cela me paraissait trop petit-bourgeois, trop conservate­ur. Mais comme j’ai aussi un esprit très analytique, j’ai étudié l’économie. Par hasard, j’ai atterri en Allemagne comme économiste dans une banque et j’y ai été responsabl­e des prévisions de marché. J’ai alors compris que c’était bien plus passionnan­t de prendre des décisions d’investisse­ment effectives plutôt

«Pour les femmes, il est important que naisse une bonne alchimie avec le conseiller»

que de livrer de simples prévisions.

En Suisse, seuls 5 à 10% des conseiller­s bancaires sont des femmes. En Asie, cela va jusqu’à 60%. La Suisse néglige-t-elle une tendance? En Suisse alémanique, les femmes sont encore très rares dans la banque. Même dans mon équipe de 35 personnes, il n’y a que 7 femmes. Le fait est que nous ne trouvons pas davantage de femmes.

Votre métier est-il donc si peu attrayant? Non, au contraire. Je ne sais vraiment pas pourquoi il n’y a pas plus de femmes qui font cette carrière. Je la recommande­rais chaudement. Il faut évidemment une certaine affinité avec les chiffres. Les banques sont très heureuses de dénicher des femmes. Et comme les femmes sont rares dans cette profession, on est très encouragée­s par les banques.

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 ?? (JANNIS CHAVAKIS/13 PHOTO) ?? Les120 collaborat­eurs gèrent des avoirs de clients pour 12,7 milliards de francs.
(JANNIS CHAVAKIS/13 PHOTO) Les120 collaborat­eurs gèrent des avoirs de clients pour 12,7 milliards de francs.

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