Il n’y aura pas d’accès intégral au marché pour les banques privées en Europe
Même maintenant que la protection des investisseurs est ancrée dans la loi, il n’y aura pas d’accès intégral au marché pour les banques privées en Europe. La faute à la politique européenne chaotique du Conseil fédéral
Le débat politique autour de ces deux lois aura duré une éternité, même compte tenu des lenteurs helvétiques. Au terme de longues discussions et d’âpres négociations en public et derrière les coulisses, le parlement a définitivement approuvé cet été deux lois volumineuses censées mieux protéger l’investisseur: la nouvelle loi sur les services financiers (LSFin) et celle sur les établissements financiers (LEFin) entreront vraisemblablement en vigueur dès 2019.
La LSFin ancre expressément les devoirs d’information, d’explication et de documentation à l’endroit du client. Il existe en outre désormais une obligation de prospectus généralisée. Un point important du nouveau paquet législatif est que les gestionnaires de fortune indépendants sont soumis au moins indirectement à la Finma par le biais d’une organisation d’autorégulation.
Garantir la stabilité juridique
Les opinions quant à l’efficacité et au bien-fondé des nouvelles réglementations sont très différenciées au sein de la branche. «Avec LSFin et LEFin, nous avons créé une protection de l’investisseur crédible, moderne et aisément applicable», s’est notamment réjoui Claude-Alain Margelisch au lendemain des votations finales au parlement. Le CEO de l’Association suisse des banquiers (ASB) invoquait le fait que la transparence augmentait pour le client et qu’avec les nouvelles lois les prestataires financiers acquéraient une sécurité juridique accrue.
«Les deux lois garantissent la stabilité et la prévisibilité juridiques», estime également Jan Langlo, directeur de l’Association de banques privées suisses (ABPS). Tout investissement recèle une part de risque. La LSFin table sur un investisseur capable de prendre une décision une fois qu’il a été correctement et clairement informé. La LEFin, pour sa part, assure que tous les intervenants sur le marché garantissent la même protection du client, ajoute Jan Langlo.
C’est bien sûr l’UE qui fut le déclencheur de la LSFin et de la LEFin. Dans sa directive sur les marchés financiers (MiFID II), elle a déjà ancré la protection du client et demandé à la Suisse, en guise d’exigence de base pour l’accès au marché, une réglementation équivalente. La LSFin et la LEFin sont-elles bel et bien équivalentes à MiFID II? Les opinions divergent un peu sur la motivation à la base des deux lois. La LSFin et la LEFin ont été volontairement créées pour tenir compte de la législation européenne MiFID II, explique JeanClaude Margelisch à l’ASB. Et cela, en intégrant aux lois des dispositions équivalentes mais pas similaires. Les particularités suisses qui ont fait leurs preuves, telles que les marges de manoeuvre pour l’autorégulation et le système de surveillance dual, demeurent telles quelles. «C’est pourquoi, du point de vue de l’ASB, il n’y a guère de raisons pour que ces deux lois ne soient pas jugées équivalentes aux yeux de l’UE», insiste Jean-Claude Margelisch. La compatibilité internationale de la législation suisse serait selon lui assurée, ce qui constitue une condition essentielle pour une industrie financière helvétique tournée vers l’exportation.
Jan Langlo, de l’ABPS, est un peu moins euphorique. Il défend certes la LSFin et la LEFin en tant que «version raisonnable» de MiFID II et il fait référence à la pléthore de contrôles qui a entraîné une offre plus restreinte de produits d’investissement, autrement dit un assainissement artificiel du marché. «Nous ne voulons pas cela en Suisse. Ici, un banquier doit pouvoir conseiller plus de quatre ou cinq fonds de placement standardisés.»
Restriction des procédures d’équivalence
Il faut toutefois se rappeler que, dans le droit de l’UE, il n’existe pas de procédure d’équivalence pour les clients privés mais uniquement pour les investisseurs professionnels tels que les assureurs et les caisses de pension. «Comme toutefois l’UE est sur le point de restreindre sévèrement les procédures d’équivalence en raison du Brexit, cela ne semble pas être un moyen fiable même pour l’asset management», dit encore Jan Langlo pour résumer la situation des banques privées suisses.
Comment alors ces dernières pourraient-elles obtenir un accès intégral au marché en Europe? «Le seul moyen pour y arriver est un accord sectoriel sur les services financiers», commente Jan Langlo. Mais l’UE refusera à coup sûr d’en parler tant que la Suisse n’aura pas négocié, signé et mis en vigueur un accord institutionnel. Or, vu la politique européenne désordonnée du Conseil fédéral, un tel accord institutionnel paraît plus lointain que jamais.