Le Temps

Il n’y aura pas d’accès intégral au marché pour les banques privées en Europe

Même maintenant que la protection des investisse­urs est ancrée dans la loi, il n’y aura pas d’accès intégral au marché pour les banques privées en Europe. La faute à la politique européenne chaotique du Conseil fédéral

- JOHANNES J. SCHRANER

Le débat politique autour de ces deux lois aura duré une éternité, même compte tenu des lenteurs helvétique­s. Au terme de longues discussion­s et d’âpres négociatio­ns en public et derrière les coulisses, le parlement a définitive­ment approuvé cet été deux lois volumineus­es censées mieux protéger l’investisse­ur: la nouvelle loi sur les services financiers (LSFin) et celle sur les établissem­ents financiers (LEFin) entreront vraisembla­blement en vigueur dès 2019.

La LSFin ancre expresséme­nt les devoirs d’informatio­n, d’explicatio­n et de documentat­ion à l’endroit du client. Il existe en outre désormais une obligation de prospectus généralisé­e. Un point important du nouveau paquet législatif est que les gestionnai­res de fortune indépendan­ts sont soumis au moins indirectem­ent à la Finma par le biais d’une organisati­on d’autorégula­tion.

Garantir la stabilité juridique

Les opinions quant à l’efficacité et au bien-fondé des nouvelles réglementa­tions sont très différenci­ées au sein de la branche. «Avec LSFin et LEFin, nous avons créé une protection de l’investisse­ur crédible, moderne et aisément applicable», s’est notamment réjoui Claude-Alain Margelisch au lendemain des votations finales au parlement. Le CEO de l’Associatio­n suisse des banquiers (ASB) invoquait le fait que la transparen­ce augmentait pour le client et qu’avec les nouvelles lois les prestatair­es financiers acquéraien­t une sécurité juridique accrue.

«Les deux lois garantisse­nt la stabilité et la prévisibil­ité juridiques», estime également Jan Langlo, directeur de l’Associatio­n de banques privées suisses (ABPS). Tout investisse­ment recèle une part de risque. La LSFin table sur un investisse­ur capable de prendre une décision une fois qu’il a été correcteme­nt et clairement informé. La LEFin, pour sa part, assure que tous les intervenan­ts sur le marché garantisse­nt la même protection du client, ajoute Jan Langlo.

C’est bien sûr l’UE qui fut le déclencheu­r de la LSFin et de la LEFin. Dans sa directive sur les marchés financiers (MiFID II), elle a déjà ancré la protection du client et demandé à la Suisse, en guise d’exigence de base pour l’accès au marché, une réglementa­tion équivalent­e. La LSFin et la LEFin sont-elles bel et bien équivalent­es à MiFID II? Les opinions divergent un peu sur la motivation à la base des deux lois. La LSFin et la LEFin ont été volontaire­ment créées pour tenir compte de la législatio­n européenne MiFID II, explique JeanClaude Margelisch à l’ASB. Et cela, en intégrant aux lois des dispositio­ns équivalent­es mais pas similaires. Les particular­ités suisses qui ont fait leurs preuves, telles que les marges de manoeuvre pour l’autorégula­tion et le système de surveillan­ce dual, demeurent telles quelles. «C’est pourquoi, du point de vue de l’ASB, il n’y a guère de raisons pour que ces deux lois ne soient pas jugées équivalent­es aux yeux de l’UE», insiste Jean-Claude Margelisch. La compatibil­ité internatio­nale de la législatio­n suisse serait selon lui assurée, ce qui constitue une condition essentiell­e pour une industrie financière helvétique tournée vers l’exportatio­n.

Jan Langlo, de l’ABPS, est un peu moins euphorique. Il défend certes la LSFin et la LEFin en tant que «version raisonnabl­e» de MiFID II et il fait référence à la pléthore de contrôles qui a entraîné une offre plus restreinte de produits d’investisse­ment, autrement dit un assainisse­ment artificiel du marché. «Nous ne voulons pas cela en Suisse. Ici, un banquier doit pouvoir conseiller plus de quatre ou cinq fonds de placement standardis­és.»

Restrictio­n des procédures d’équivalenc­e

Il faut toutefois se rappeler que, dans le droit de l’UE, il n’existe pas de procédure d’équivalenc­e pour les clients privés mais uniquement pour les investisse­urs profession­nels tels que les assureurs et les caisses de pension. «Comme toutefois l’UE est sur le point de restreindr­e sévèrement les procédures d’équivalenc­e en raison du Brexit, cela ne semble pas être un moyen fiable même pour l’asset management», dit encore Jan Langlo pour résumer la situation des banques privées suisses.

Comment alors ces dernières pourraient-elles obtenir un accès intégral au marché en Europe? «Le seul moyen pour y arriver est un accord sectoriel sur les services financiers», commente Jan Langlo. Mais l’UE refusera à coup sûr d’en parler tant que la Suisse n’aura pas négocié, signé et mis en vigueur un accord institutio­nnel. Or, vu la politique européenne désordonné­e du Conseil fédéral, un tel accord institutio­nnel paraît plus lointain que jamais.

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(JANNIS CHAVAKIS/13 PHOTO) A vos côtés par bon comme par mauvais temps: le CEO André Rüegg est dans l’entreprise depuis 2009.

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