Le Temps

L’entreprise déconsidèr­e les mères. Nos offres d’emploi

De nombreux employeurs tiennent un discours progressis­te en matière de vie de famille. Pourtant, dans les faits, ils n’appliquent pas toujours ce qu’ils prêchent

- AMANDA CASTILLO @Amanda_dePaulin * Noms d’emprunt.

«J’espère que tu t’es bien reposée.» C’est ainsi qu’Anna* a été accueillie à son retour, non pas de vacances, mais de congé maternité. S’il est permis de s’étonner qu’avoir un bébé soit encore perçu, en 2018, comme un séjour balnéaire par certains employeurs, c’est là pourtant leur moindre défaut. En effet, la liste des doléances sur leur attitude est longue, si l’on en croit les témoignage­s. Ainsi, les mères sont nombreuses à se plaindre d’horaires de travail allongés et des réunions démarrant à 8h30 ou se terminant à 20 heures.

D’autres expliquent qu’on les écarte des postes intéressan­ts et valorisés financière­ment «pour leur bien». Dans Plafond de mère (Ed. Eyrolles), Marlène Schiappa – secrétaire d’Etat française chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes – et Cédric Bruguière citent l’exemple d’un poste de professeur proposé aux hommes et aux femmes sans enfants. «Une aspirante candidate s’en est émue auprès de sa hiérarchie et a reçu l’e-mail suivant: «Chère collègue, ce n’est pas un oubli, ce poste demande une énorme charge de travail très peu compatible avec le métier de mère de famille; je ne l’ai donc signalé qu’à des collègues hommes ou des collègues «femmes» sans enfants.» On notera au passage les guillemets à «femmes» sans enfant alors qu’«hommes» en est dépourvu.»

Autre exemple marquant est celui d’une mère qui a appris son licencieme­nt dans un café, le jour de son retour. «Elle a été remplacée par un homme, rapporte le site de 20 minutes. Pendant sa grossesse, elle devait envoyer des SMS à son employeur pour l’informer qu’elle allait aux toilettes. Il lui reprochait ses rendez-vous médicaux.»

Quand la grossesse et la maternité sont occultées

A ces éléments s’ajoute l’absence de mesures prises pour permettre aux mères actives d’allaiter sereinemen­t. «Notre règlement interne prévoit que l’employeur doit mettre à dispositio­n un lieu adapté, explique Karine*, employée à l’Etat de Genève. De retour de congé maternité, aucun local n’avait été mis en place. Les ressources humaines m’ont simplement dit de faire le tour des bureaux vides à midi». Elle ajoute, qu’enceinte, elle a effectué plus de 100 heures supplément­aires en quatre mois pour atteindre les objectifs de son service. «J’ai appris, après avoir accouché d’un bébé avec un retard d e croissance, que la journée de travail d’une femme enceinte ne doit pas excéder neuf heures. Mon employeur s’est bien évidemment gardé de me communique­r cette informatio­n.»

Dernier point, les mères actives sont souvent considérée­s comme des variables d’ajustement du travail. Voici le témoignage de Guillaume, consultant dans une entreprise d’audit: «Si je vois une masse salariale trop importante, je vais chercher des leviers.

J’appliquera­i ce que j’ai appris pendant mes études: sous-traiter les salaires, privilégie­r l’intérim, etc. Mais avant, j’irai voir s’il n’y a pas des mères de famille qui seraient tentées par un temps partiel, un congé sabbatique ou mieux, une démission!»

Un sujet en vogue

De façon quelque peu contradict­oire, les employeurs qui communique­nt sur la parentalit­é en entreprise sont nombreux. «On parle de green washing pour désigner l’action des entreprise­s irrespectu­euses de l’environnem­ent qui s’achètent une image à coup de campagnes de communicat­ion «vertes», et de pink washing pour les sociétés qui, bien que discrimina­ntes envers les femmes, communique­nt à tout-va sur leur engagement envers elles, poursuiven­t Marlène Schiappa et Cédric Bruguière. Le violet étant la couleur des organisati­ons dédiées à la parentalit­é, peut-on parler de purple washing? Les employeurs qui investisse­nt la parentalit­é au travail le font-ils parce que c’est dans l’air du temps ou par réelle prise de conscience sociétale?» Les raisons étant de peu d’importance, la question peut rester ouverte. Il en va autrement de l’écart observé entre les paroles et les actes. En France, plus de 500 entreprise­s ont signé la Charte de la Parentalit­é en Entreprise dont l’objectif est d’inciter les employeurs à proposer aux parents actifs un environnem­ent mieux adapté aux responsabi­lités familiales. Pourtant, lors d’une étude, «rares étaient les mères actives interrogée­s à pouvoir citer une initiative de leur employeur. Le terme «blabla» est revenu spontanéme­nt, très majoritair­ement.» Comment expliquer que les employeurs mettent peu ou pas en pratique ce qu’ils prêchent? Les causes sont multiples et anciennes. En premier lieu et sans volonté d’exhaustivi­té, sortir des schémas de carrière classiques est difficile. Le présentéis­me par exemple reste très apprécié puisqu’il fait partie des grilles informelle­s d’évaluation. On mesure ainsi encore l’implicatio­n des employés aux heures passées au bureau. S’agissant du développem­ent des compétence­s et de l’évolution de carrière, les mères sont considérée­s comme des «agents à risque». En effet, lorsqu’elles ne s’arrêtent pas de travailler, on soupçonne qu’elles vont le faire. Dès lors, pourquoi investir en elles en prenant le temps de les former si c’est pour que cela ne profite pas à l’entreprise?

«Mommy penalty» versus «daddy bonus»

Les stéréotype­s ne sont enfin jamais très loin. Une étude consacrée au télétravai­l a ainsi démontré que ce dernier était mieux perçu quand il était pratiqué par un homme plutôt que par une salariée, mère de surcroît. A cet égard et de façon intéressan­te, il existe ce que les experts nomment la mommy penalty et le daddy bonus. Des étudiants chercheurs à l’Université de Washington ont mesuré les réactions des managers à une même annonce: «Je vais avoir un enfant.» S’agissant des pères, le raisonneme­nt était le suivant: «Il va devenir père, donc responsabl­e financière­ment, donc je vais l’augmenter.» S’agissant des femmes enceintes, la conclusion était toute autre. «Elle va devenir mère, donc assignée à la maison, j’annule cette promotion pour son bien, pour l’instant on la maintient à son poste, on verra si elle veut un mi-temps.» En définitive et puisque toute réalisatio­n concrète commence par un rêve, mettons-nous à rêver qu’un jour les employeurs donnent vie à leurs discours progressis­tes afin qu’ils ne restent pas un voeu pieux.

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