La lente dégringolade de Pierre Maudet
Le Conseil d’Etat passe à la vitesse supérieure. Le ministre en difficulté doit renoncer à la présidence et se voit retirer la police et le dossier de l’aéroport. Une décision qui tombe une semaine après l’aveu du mensonge
Le conseiller d’Etat renonce provisoirement à la présidence de l’exécutif et se voit retirer la police
La pression politique s’accentue de jour en jour sur le magistrat. Les mesures radicales annoncées hier par le Conseil d’Etat in corpore «destinées à préserver la sérénité des institutions» font suite au séjour de l’élu à Abu Dhabi effectué en 2015 et financé par le pouvoir émirati. Pierre Maudet «a donné des informations erronées au Conseil d’Etat, à plusieurs reprises, sous la précédente législature ainsi que l’actuelle» et il a «violé les règles du Conseil d’Etat en matière de procédure protocolaire et de non-acceptation de cadeaux», a déclaré Antonio Hodgers. A l’échelon fédéral, la présidente du PLR, Petra Gössi, se dit «déçue». «La présomption d’innocence prévaut, mais Pierre Maudet doit prendre acte de la perte de confiance qu’il subit et l’on est en droit de réfléchir aux conséquences et de se demander s’il est encore capable de mener son action politique.»
«Peut-il encore mener son action politique?» PETRA GÖSSI, PRÉSIDENTE DU PLR
Il a visiblement fallu une semaine au Conseil d’Etat genevois pour digérer les trahisons successives d’un des siens. Et autant de temps à Pierre Maudet pour accepter de lâcher la tête du gouvernement, la tutelle de la police et le dossier de l’aéroport. Une réorganisation qualifiée cette fois d’«importante» et que le parlement devra encore entériner.
Quand bien même «la confiance a été ébranlée», selon les mots du nouveau président Antonio Hodgers, une démission n’est pas à l’ordre du jour. «Ce serait une échappatoire et je n’ai pas pour habitude de déclarer forfait», précise le principal intéressé, empêtré dans les suites pénales et politiques de son voyage à Abu Dhabi.
Pourquoi avoir attendu?
La question était sur toutes les lèvres. Pourquoi l’exécutif, qui avait déjà presque l’ensemble des cartes en mains le 5 septembre, a-t-il attendu pour prendre des mesures plus radicales? En substance, explique le Conseil d’Etat, le léger lifting initial avait été décidé sur la base de la demande de levée d’immunité déposée par le Ministère public et dont les éléments étaient encore vivement contestés par Pierre Maudet.
Bien que celui-ci ait avoué le matin même à ses collègues, et sur leur insistance, avoir largement manipulé la vérité, il a été décidé de maintenir le plan initial. Ce d’autant plus que la presse et le public n’avaient pas encore entendu le mea culpa télévisé du conseiller d’Etat et n’étaient donc pas au courant de l’ampleur du malaise.
«Il ne faut pas minimiser l’aspect humain. Apprendre que quelqu’un avec qui l’on travaille et dont on est proche a élaboré des contre-vérités est très déstabilisant. Il fallait faire retomber l’émotion. Le Conseil d’Etat assume avoir pris le temps de digérer l’information afin de prendre des décisions plus pertinentes», explique Antonio Hodgers.
Sévère constat
C’est donc un collège un peu moins sous le choc mais beaucoup plus fâché qui est venu présenter jeudi sa nouvelle feuille de crise. Le constat est sévère: «Il s’avère que Monsieur Maudet a donné des informations erronées au Conseil d’Etat, à plusieurs reprises, sous la précédente législature ainsi que l’actuelle. Il en résulte, par ailleurs, que Monsieur Maudet a violé les règles du Conseil d’Etat en matière de procédure protocolaire et de non-acceptation de cadeaux. Le Conseil d’Etat déplore vivement cet état de fait.»
Une situation intenable? Il faut croire que non. Antonio Hodgers assure que l’exécutif, unanime, a voulu «trouver des espaces pour poursuivre l’action gouvernementale» et permettre au canton de relever les défis qui l’attendent. De toute manière, Pierre Maudet, seul à pouvoir décider de sa démission, n’envisage pas de quitter le navire. «Je crois plus que jamais à la valeur de l’équipe», souligne le ministre en grande difficulté. Il ajoute vouloir garder la tête froide et retrouver la sérénité nécessaire.
«Je mesure aussi le besoin de prendre de la distance», précise encore Pierre Maudet. Avant d’expliquer, en des termes choisis, l’abandon de son titre le plus prestigieux: «Je devais proposer de renoncer provisoirement à la présidence. C’est la meilleure manière de préserver les institutions.»
Périmètre d’étanchéité
Fini donc les petits découpages minimalistes censés éloigner le ministre des seules tâches de représentation extérieure du gouvernement et des relations institutionnelles avec le patron du Ministère public. Outre la présidence, Pierre Maudet se voit retirer la responsabilité hiérarchique des forces de l’ordre. Le Conseil d’Etat a enfin réalisé que des inspecteurs de la police judiciaire pourraient aussi être impliqués dans l’enquête menée contre le ministre et son ancien chef de cabinet. «Cela implique un élargissement du périmètre d’étanchéité afin de préserver la confiance.» C’est le MCG Mauro Poggia, déjà bombardé «ambassadeur» auprès du parquet la semaine dernière, qui reprend cette sensible tutelle.
Au menu des dossiers délicats, potentiellement touchés par l’enquête, le ministre doit aussi lâcher l’Aéroport de Genève. Oubliée la «lecture purement institutionnelle» de la demande de levée d’immunité. Le Conseil d’Etat ne peut plus se voiler la face, ni rester sourd aux éléments débattus sur la place publique et aux préoccupations parlementaires. Même si aucun élément ne lui permet encore de penser que Pierre Maudet a influé sur l’octroi d’une concession, l’exécutif a décidé de prendre les devants «par gain de paix».
Désormais délesté du principal, Pierre Maudet garde encore les prisons et d’autres offices rattachés au Département de la sécurité. Afin d’équilibrer la répartition des tâches et remplumer son dicastère, il récupère certains services du département présidentiel. Notamment la surveillance des communes, la direction générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation, ainsi que la fondation d’aide aux entreprises.
L’avenir de cette réorganisation est tout sauf tracé. Selon le nouveau président Hodgers, «ces mesures sont permanentes mais elles pourront être révoquées en fonction de l’évolution de la situation». Une situation qui connaît encore son lot de rebondissements quotidiens.
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