Le Temps

Est-il possible de voter contre la souffrance?

Soumise au vote populaire le 23 septembre, l’initiative «Pour des aliments équitables» entend faire barrage aux denrées issues de la maltraitan­ce animale. Les conditions de vie des animaux de ferme sont globalemen­t meilleures en Suisse qu’à l’étranger

- PASCALINE MINET @pascalinem­inet

L’initiative «Fair Food» est soumise au vote le 23 septembre prochain. L’un de ses objectifs est de développer l’offre en aliments produits dans le respect des animaux. Quelle est la situation de l’élevage en Suisse? Quels sont les vices et les vertus du texte? Radiograph­ie.

Animaux mutilés, mal soignés, parqués dans l'obscurité… des images-chocs dénonçant les mauvaises conditions de vie dans les élevages sont régulièrem­ent rendues publiques par les militants de la cause animale. Comment s'assurer que la production de la viande ou des oeufs que nous mangeons n'a pas occasionné ce type de maltraitan­ce? C'est un des enjeux de l'initiative «Pour des aliments équitables» sur laquelle le peuple devra s'exprimer le 23 septembre. Outre la protection des travailleu­rs et celle de l'environnem­ent, elle vise à promouvoir les denrées produites dans le respect du bien-être animal. Dans la ligne de mire des initiants: les produits importés.

Près de la moitié des denrées alimentair­es consommées en Suisse sont importées. Il s'agit majoritair­ement de produits végétaux, mais pas seulement. Près de 600 millions d'oeufs produits à l'étranger sont ainsi arrivés sur le marché helvétique en 2017, selon l'organisati­on faîtière Gallo-Suisse. L'Office fédéral de l'agricultur­e estime que ce sont plus de 92000 tonnes de viande prête à la vente qui ont été importées en 2016. La Protection suisse des animaux (PSA), qui a mené sa propre analyse en se fondant sur les données des douanes, avance le chiffre de 120000 tonnes de viande importées. Et souligne que ce sont surtout des morceaux nobles (aloyau de boeuf, blanc de poulet, etc.) qui sont recherchés. L'associatio­n estime que plus de 100 millions d'animaux sont éle- vés dans les étables étrangères pour nous nourrir.

Elevages-usines

Or, s'il existe certaines garanties sur la manière dont les animaux sont élevés en Suisse, c'est moins souvent le cas à l'étranger. «Ce qui se passe à l'étranger est souvent épouvantab­le. Des milliers d'animaux sont entassés dans des élevages-usines incompatib­les avec le respect de leur dignité. Ce mode d'élevage entraîne aussi des problèmes de santé publique, du fait de l'usage courant d'antibiotiq­ues et d'hormones», estime la conseillèr­e nationale verte Adèle Thorens, membre du comité d'initiative.

Elena Nalon, vétérinair­e responsabl e du programme Animaux de ferme pour l'organisati­on de défense animale Eurogroup for Animals basée à Bruxelles, souligne que la Suisse a banni la plupart des mutilation­s animales toujours autorisées dans l'Union européenne, comme la castration des porcelets sans anesthésie et l'épointage des becs des poules pondeuses. La durée du transport des animaux vivants est par ailleurs limitée à six heures en Suisse, alors qu'elle peut être beaucoup plus longue dans l'UE. «Un autre aspect important est que la Suisse a créé un corps d'inspection dédié spécifique­ment au bien-être animal, ce qui n'est pas le cas dans la plupart des Etats membres», relève la spécialist­e.

Lors de son lancement l'année passée, le projet d'un éleveur du Val-de-Ruz de créer une halle d'engraissem­ent de 600 taureaux avait suscité de nombreuses opposition­s. Mais ce type de méga-ferme» reste rare en Suisse, où la plupart des élevages sont des structures familiales de relativeme­nt petite taille. «Un producteur d'oeufs suisses peut détenir jusqu'à 18000 poules, 4000 seulement dans une exploitati­on biologique.

Dans l'Union européenne, les élevages de 50 000 à 100 000 animaux sont courants. Une grande exploitati­on peut être considérée comme plus profession­nelle, mais à partir d'une certaine taille, ce n'est plus possible de s'occuper correcteme­nt des animaux», estime Cesare Sciarra, directeur du service de contrôle de la PSA.

Tout n'est pas rose en Suisse pour autant. «Pour les porcs, les conditions d'élevage convention­nel sont à peu près les mêmes qu'ailleurs en Europe», indique Cesare Sciarra. Ce n'est que depuis le 1er septembre de cette année que les éleveurs helvétique­s sont contraints de garder leurs animaux dans des box munis de sols perforés afin de garantir la bonne évacuation des excréments. «Heureuseme­nt, environ la moitié du porc produit en Suisse dépend de labels dont les exigences en matière de bienêtre animal sont plus élevées que celles de l'élevage classique», souligne le représenta­nt de la PSA. Les distribute­urs ont développé leurs propres labels à cette fin, tels que Terra-Suisse pour Migros et Naturafarm pour Coop.

Un des objectifs de l'initiative est d'améliorer la transparen­ce sur les conditions de production des denrées animales, afin que les consommate­urs puissent faire leurs achats en connaissan­ce de cause. Actuelleme­nt, seuls certains produits importés doivent faire l'objet d'une déclaratio­n obligatoir­e, d'après l'Office fédéral de la sécurité alimentair­e et des affaires vétérinair­es (OSAV): il s'agit de la viande aux hormones, des oeufs de poules élevées en batterie et de la viande de lapins élevés dans des conditions qui ne respectent pas les dispositio­ns suisses. Concrèteme­nt toutefois, ces produits peuvent passer inaperçus, par exemple lorsqu'ils sont utilisés dans des produits transformé­s. L'OSAV indique également que le Conseil fédéral peut déjà, pour des raisons relevant de la protection des animaux, soumettre l'importatio­n de produits d'origine animale à certaines conditions, voire les limiter ou les interdire, mais qu'il n'en a pas été fait usage car ce serait contraire aux règles du commerce internatio­nal. «Plutôt que des interdicti­ons problémati­ques au niveau des échanges internatio­naux, on peut envisager une modulation de la fiscalité douanière favorable aux bons produits, afin de pénaliser indirectem­ent les mauvais», propose Adèle Thorens.

Accords de branche

«C'est ce qui s'est produit progressiv­ement avec les oeufs issus d'élevages en batterie, relève Daniel Würgler, de Gallo-Suisse. Ce mode de production est interdit depuis 1982 en Suisse, mais depuis plusieurs années maintenant, les importateu­rs se sont aussi engagés à y renoncer.» L'éleveur se montre sceptique par rapport à l'initiative soumise au vote: «Les intentions sont bonnes, mais un oeuf issu de l'étranger ne sera jamais le même qu'un oeuf suisse, même s'il respecte quelques critères supplément­aires. Nous n'avons simplement pas les mêmes contrainte­s ni le même environnem­ent de travail.»

«A partir d’une certaine taille, ce n’est plus possible pour une exploitati­on de s’occuper correcteme­nt des animaux»

CESARE SCIARRA, DIRECTEUR DU SERVICE DE CONTRÔLE DE LA PROTECTION SUISSE DES ANIMAUX

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