Le Temps

Sarah Mardini, en prison pour avoir sauvé des vies

- OLIVER GALFETTI

La nageuse syrienne, qui a sauvé la vie d’une dizaine de réfugiés en 2015 au large de l’île de Lesbos, est en prison. Elle est accusée par la Grèce de trafic d’êtres humains

Devenue une icône de la solidarité pour avoir sauvé des migrants lors de leur traversée de la Méditerran­ée, l’ex-nageuse d’élite syrienne Sarah Mardini est derrière les barreaux depuis le début du mois de septembre. Accusée de participer au trafic illégal d’êtres humains, elle attend d’être jugée et risque une longue peine de prison.

Pour la jeune fille de 23 ans, la nage a toujours été une passion. Ce sport incarne une tradition de famille qu’elle pratiquait avec sa soeur Yusra sous l’oeil de leur père, entraîneur profession­nel.

A l’éclatement de la guerre civile syrienne, les bombardeme­nts détruisent les espérances de la famille de Sarah. La piscine de Damas où les soeurs Mardini s’entraînaie­nt ainsi que leur maison ne sont plus qu’un tas de ruines. Après avoir déménagé constammen­t pour éviter les combats, la famille décide en 2015 d’essayer de faire passer Sarah et Yusra en Turquie puis en Europe avec un groupe de réfugiés.

Une nuit d’août 2015, le petit canot qui transporte les deux jeunes filles en direction de l’île grecque de Lesbos tombe en panne. Quand l’embarcatio­n commence à couler, c’est la panique, mais Sarah et Yusra maintienne­nt le calme et se jettent à l’eau. Tant bien que mal, elles réussissen­t à traîner le bateau pendant trois heures et demie, pour finalement mettre tout le monde en sécurité.

Un symbole d’altruisme

Après avoir été acclamées par la presse mondiale comme des symboles de courage et d’altruisme, les deux soeurs gagnent finalement l’Allemagne, où elles commencent une nouvelle vie. Alors que Yusra trouve la consécrati­on lors de sa participat­ion aux Jeux olympiques de Rio en 2016 avec l’équipe des athlètes réfugiés, Sarah décide de retourner à Lesbos afin d’intégrer une équipe de bénévoles du Centre internatio­nal d’interventi­on d’urgence (ERCI), une ONG grecque spécialisé­e dans le sauvetage et l’assistance des réfugiés.

«Sarah est une véritable héroïne, avait déclaré à maintes reprises Panos Moraitis, le fondateur d’ERCI. Après avoir risqué sa vie, elle est maintenant parmi nous pour s’assurer qu’aucune nouvelle vie ne sera perdue dans cette périlleuse traversée.» Les arrivées sur les îles grecques ont toutefois beaucoup diminué depuis l’accord en 2016 avec la Turquie, qui s’est

«Je suis juste une personne normale qui essaie d’apporter de l’aide à ceux qui en ont besoin»

engagée à bloquer les départs depuis ses côtes.

Projetant de fonder un jour sa propre ONG, Sarah Mardini partageait son temps entre le secours aux réfugiés en détresse et ses études universita­ires en Allemagne. Lors d’un entretien avec le Haut-Commissari­at des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui a aussi relayé son histoire et qui a nommé sa soeur ambassadri­ce de bonne volonté, elle disait: «Je suis juste une personne normale qui essaie d’apporter de l’aide à ceux qui en ont besoin.»

Mais tandis qu’elle était sur le point de rentrer en Allemagne, le 21 août dernier, ses projets ont été brusquemen­t interrompu­s par la police grecque. Arrêtée puis enfermée dans la prison de haute sécurité de Korydallos, la jeune Syrienne fait face à des accusation­s d’espionnage, de trafic d’êtres humains et de recel, des crimes passibles de la réclusion à perpétuité.

Une longue enquête

La police grecque mène l’enquête depuis six mois. Elle accuse des membres d’ERCI d’avoir fait rentrer des migrants sur le territoire de manière illégale en collaborat­ion avec des passeurs, en s’abritant derrière le statut d’organisati­on humanitair­e de l’ONG. Sarah Mardini, Sean Binder, un volontaire irlandais de 24 ans, ainsi que Nassos Karakitsos, un vétéran de l’armée grecque et directeur des opérations d’ERCI, ont été arrêtés.

«Je ne peux pas entrer dans les détails concernant les accusation­s auxquelles nos membres sont confrontés du moment que les investigat­ions sont encore en cours, affirme Panos Moraitis, joint par téléphone. Toutefois, je peux vous dire qu’ils sont accusés de crimes très graves sans aucune preuve. Nassos Karakitsos a participé directemen­t à presque toutes les opérations de secours. Cet homme est un héros qui a sauvé la vie à plus de 30 000 personnes. Sarah et Sean étaient des volontaire­s et coordinate­urs d’ERCI qui ont tout donné pour notre mission.» Le HCR ne commente pas ces arrestatio­ns, renvoyant aux autorités grecques.

Depuis le début de ses opérations en décembre 2015, quand les traversées vers les îles grecques étaient les plus nombreuses, ERCI dit avoir porté secours et assisté plus de 550000 personnes. L’ONG affirme avoir travaillé constammen­t en contact avec les autorités grecques et Frontex, l’agence européenne des gardecôtes. «Il y a toujours eu une totale transparen­ce avec les autorités, on a accepté de faire ce qu’elles nous demandaien­t en respectant toutes les normes administra­tives, financière­s et opérationn­elles», se défend Panos Moraitis.

«L’opinion publique grecque n’est pas en faveur des ONG qui travaillen­t pour aider les réfugiés. ERCI est la dernière cible d’une longue campagne de criminalis­ation à l’égard des organisati­ons humanitair­es. Nombreux sont les activistes qui ont été inquiétés ces derniers temps, en Grèce mais aussi en Italie», dénonce le directeur de l’ONG.

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SARAH MARDINI

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