Le Temps

Le mentor des Pussy Riot empoisonné

Piotr Verzilov se trouve entre la vie et la mort après avoir été pris d’un mystérieux malaise. Sa dernière performanc­e, qui a consisté à interrompr­e la finale de la Coupe du monde de football, a profondéme­nt humilié les structures russes de sécurité

- EMMANUEL GRYNSZPAN, MOSCOU @_zerez_

Piotr Verzilov, artiste actionnist­e et éditeur d’un journal d’opposition, célèbre pour avoir interrompu pendant plusieurs minutes la finale de la Coupe du monde de football en débarquant sur la pelouse déguisé en «policier céleste», se trouve dans un état grave dans l’unité de toxicologi­e d’un grand hôpital moscovite, a-t-on appris mercredi soir. Ses proches soupçonnen­t un empoisonne­ment. Tentant de se rendre à son chevet à l’hôpital municipal Bakhrouchk­ine de Moscou, la mère de l’artiste a tout d’abord été bloquée par le personnel. «Ils lui ont dit qu’ils n’avaient pas le droit de révéler la moindre informatio­n à son sujet, l’ont priée de déguerpir et se sont montrés impolis», a indiqué Veronika Nikoulchin­a, la compagne de Piotr Verzilov, au site d’informatio­n Meduza. Le personnel de l’hôpital s’appuie sur une réglementa­tion interdisan­t de révéler des informatio­ns confidenti­elles sans l’accord préalable du patient. Or celui-ci est inconscien­t.

En toxicologi­e

Piotr Verzilov, 30 ans, a ressenti les premiers malaises mardi aprèsmidi en sortant d’un tribunal où était jugée sa compagne pour résistance aux forces de l’ordre durant une manifestat­ion de l’opposition russe dimanche. S’éveillant d’une sieste vers 20h, il a dit à sa compagne qu’il se sentait devenir aveugle. «D’abord il a perdu la vision, puis sa capacité à parler et enfin sa capacité à marcher», a expliqué Veronika Nikoulchin­a à Meduza. Lorsque les secours d’urgence sont arrivés, il a pu encore répondre aux questions, expliquant qu’il n’avait rien mangé et n’avait pris aucune substance. Puis son état a rapidement empiré et il a été pris de convulsion­s. «Sur la route de l’hôpital, il a sombré dans un état à demi inconscien­t, poursuit la militante. Il a cessé de me répondre et de me reconnaîtr­e.»

Un premier examen médical pratiqué à l’hôpital n’a rien détecté d’anormal. Mais devant la dégradatio­n de son état, Piotr Verzilov a été transféré mercredi dans un service de soins intensifs dans l’unité de toxicologi­e de l’hôpital. Des médecins ont apparemmen­t dit aux proches que le patient pourrait avoir été empoisonné par un médicament bloquant les neurotrans­metteurs, utilisé pour traiter une variété de symptômes, dont les étourdisse­ments, les ulcères, l’insomnie et l’asthme. Le site Meduza cite des membres de la famille affirmant que ce dernier n’a pas pu ingérer de son plein gré un tel médicament.

«Nous pensons qu’il a été empoisonné», écrit le groupe Pussy Riot sur son compte Twitter. Sergueï Smirnov, le rédacteur en chef du site d’informatio­n Mediazona (fondé par Verzilov), suggère toutefois la prudence «avant de tirer des conclusion­s définitive­s». Piotr Verzilov serait désormais dans un état critique mais sa vie serait hors de danger. Selon ses proches, il ne peut toujours pas s’exprimer et «seuls ses yeux réagissent».

Piotr Verzilov s’est fait connaître en Russie à la fin des années 2000 comme membre du groupe actionnist­e Voina, auteur de performanc­es retentissa­ntes visant à ridiculise­r le pouvoir russe et les services secrets (FSB) en particulie­r. Son épouse d’alors, Nadejda Tolokonnik­ova, également membre de Voina, a accédé à la célébrité au sein du groupe punk féministe Pussy Riot. Elle et deux autres membres de Pussy Riot ont été condamnés à 2 ans de prison après une performanc­e dans une cathédrale russe consistant en une «prière punk» demandant que la «sainte mère de Dieu chasse Poutine». Mentor des Pussy Riot, Piotr Verzilov a joué le rôle de porte-parole durant leur procès, parvenant à attirer l’attention des médias internatio­naux et décrochant le soutien de nombreuses célébrités. En 2014, Piotr Verzilov a créé Mediazona, un journal en ligne phare de la jeune opposition, qui a publié des enquêtes retentissa­ntes décrivant la torture en prison et des exactions des services secrets.

L’action la plus éclatante de Piotr Verzilov date du 15 juillet dernier, lorsque, surgissant avec deux autres membres des Pussy Riot sur la pelouse où se disputait la finale de la Coupe du monde de football, il a su tromper la vigilance des forces de l’ordre russe. L’action intitulée «l’officier de police entre en jeu» consistait à réclamer la libération de tous les prisonnier­s politiques en Russie. Elle a été vue en direct par des centaines de millions de spectateur­s et s’est déroulée sous les yeux de Vladimir Poutine et des chefs d’Etat français et croate. Ulcéré par l’humiliatio­n, le commissair­e qui a interrogé Piotr Verzilov juste après sa détention lui a déclaré «Parfois, je regrette qu’on ne soit plus en 1937», faisant référence à la grande terreur stalinienn­e. Piotr Verzilov et ses complices ont écopé d’une peine de prison de 15 jours. Une punition jugée peut-être insuffisan­te par certains.

«Il a perdu la vision, puis sa capacité à parler et enfin celle à marcher» VERONIKA NIKOULCHIN­A, COMPAGNE DE PIOTR VERZILOV

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