Le Temps

Le foie gras est-il sur la sellette?

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

L’initiative «Fair Food» pour des aliments équitables, qui veut lutter contre les denrées provenant de modes de production cruels, relance le débat sur le foie gras, régulièrem­ent conspué par les défenseurs des animaux

C'est devenu un marronnier. Chaque année à l'approche des fêtes de Noël, les défenseurs des animaux partent à l'assaut du foie gras, perçu comme le symbole de la souffrance animale. Le débat promet cette fois d'être particuliè­rement tendu en raison de l'initiative «Fair Food» pour des aliments équitables, qui veut renforcer l'offre en aliments de qualité, issus de modes de production écologique­s, sociaux et respectueu­x du bien-être animal. Selon le texte, «les produits issus de la maltraitan­ce animale» devraient être évités, voire, quand c'est possible, bannis. Du point de vue légal, le statut du foie gras est ambigu: seul le gavage est formelleme­nt interdit par l'ordonnance fédérale sur la protection des animaux.

Depuis seize ans déjà, Coop et Denner ne vendent plus de produits issus d’animaux gavés, y compris le foie gras, en vertu du «bien-être animal»

C'est donc uniquement des produits étrangers qu'on retrouve sur les tables gastronomi­ques de Suisse. En 2017, 235,68 tonnes de foie gras ont été importées, principale­ment en provenance de France (84,7%), mais aussi de Hongrie (7%) et de Bulgarie (6,3%). Des chiffres en baisse depuis 2015 où les importatio­ns représenta­ient encore 285,773 tonnes. Jusque-là, les statistiqu­es enregistra­ient une hausse régulière: il y a dix ans, seules 249,186 tonnes de foie gras traversaie­nt la frontière, 153,114 il y a vingt ans.

Renforcer l’étiquetage

Après des années de contestati­on, le foie gras est-il définitive­ment sur la sellette? Pas si sûr. En cas de oui le 23 septembre, le parlement se chargera d'élaborer une loi d'applicatio­n. Membre du comité, la conseillèr­e nationale verte Adèle Thorens ne vise pas une interdicti­on totale, difficile à conjuguer avec le droit internatio­nal, mais des mesures alternativ­es. A commencer par un meilleur étiquetage. «La mention «Ce produit est issu d'un procédé cruel» sur les emballages se révèle efficace pour exclure un produit du marché, affirme-t-elle, on l'a vu avec les oeufs issus de l'élevage en batterie.»

Détaillant­s divisés

Autres possibilit­és: surtaxer les produits issus de la cruauté envers les animaux et établir des convention­s d'objectifs avec les détaillant­s de manière à fournir un produit respectueu­x des animaux et de meilleure qualité. Pour Adèle Thorens, des ouvertures existent avec la grande distributi­on, divisée sur la question. Depuis seize ans déjà, Coop et Denner ne vendent plus de produits issus d'animaux gavés, y compris le foie gras, en vertu du «bien-être animal». Migros, en revanche, continue la commercial­isation en Suisse romande et au Tessin uniquement.

«Les coopérativ­es régionales sont libres de définir leurs propres assortimen­ts, précise Tristan Cerf, porte-parole de Migros. En Suisse romande, la demande est forte en fin d'année. Les coopérativ­es concernées y répondent en vendant un foie gras de canard contrôlé provenant exclusivem­ent de petits producteur­s du sud-ouest de la France.»

Effets pervers?

Selon ses détracteur­s, l'initiative «Fair Food», trop restrictiv­e, n'aura que des effets pervers: stimuler le tourisme d'achat et faire augmenter les prix en Suisse. De faux arguments pour Adèle Thorens: «Le foie gras n'est pas un produit de première nécessité, mais un produit de luxe. De plus, les consommate­urs sont de plus en plus sensibles à la cause animale; implanter une production durable permettrai­t à un nouveau marché d'émerger. On lutte contre le tourisme d'achat avec une stratégie de qualité.»

Pour Philippe Ligron, responsabl­e de la Food Experience à l'Alimentari­um de Vevey et ancien professeur à l'Ecole hôtelière de Lausanne, la loi sur le foie gras est mal faite: «On ferait mieux d'interdire tout simplement l'importatio­n de foie dont on ne contrôle pas les méthodes de production et autoriser une production locale naturelle. Cela donnerait du travail à nos paysans.»

Il admet toutefois que l'engraissem­ent naturel est plus lent que le gavage. «Lorsque les oies se gavent naturellem­ent avant les migrations saisonnièr­es, cela n'aboutit qu'à de petits foies de 150 g environ, loin des 600 g qu'on trouve actuelleme­nt sur le marché.»

Quelle que soit l'issue du vote, les ennemis du foie gras n'ont pas dit leur dernier mot. Le collectif Alliance animale suisse prépare actuelleme­nt une initiative visant à empêcher les produits interdits en Suisse d'être importés.

Le texte, qui ancrerait ce principe dans la Constituti­on, sera déposé prochainem­ent à la Chanceller­ie fédérale. ▅

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