Le Temps

Juncker s’en va: quel bilan?

- MARIE-HÉLÈNE MIAUTON

Jean-Claude Juncker a une longue carrière politique derrière lui. D’abord ministre des Finances, du Travail et du Trésor du Luxembourg, il prend ensuite la charge de premier ministre. Pendant cette période, il sera aussi gouverneur de la Banque mondiale, mais également du Fonds monétaire internatio­nal (FMI) et de la Banque européenne pour la reconstruc­tion et le développem­ent (BERD). La quasi-totalité de la politique financière du monde était entre ses mains!

Fort de cette expérience, il accède à la présidence de la Commission européenne, après José Manuel Barroso, cet homme peu charpenté dont Martin Schulz disait: «Quand il parle aux socialiste­s, il est socialiste. Quand il parle aux libéraux, il est libéral. Il dit aux gens ce qu’ils veulent entendre.» L’homme coule désormais des jours heureux à la présidence de Goldman Sachs, la principale banque américaine d’investisse­ment. Juncker, lui, a été fortement décrédibil­isé par la politique d’arrangemen­ts fiscaux qui régnait au Luxembourg alors qu’il en était le plus haut responsabl­e. Sans oublier son alcoolisme patent. Tout cela n’est pas glorieux sachant que ces messieurs étaient en charge de la plus haute instance de l’UE alors qu’elle luttait vigoureuse­ment contre l’évasion fiscale et ses paradis, la Suisse s’en souvient amèrement!

Son mandat s’achevant cet automne, JeanClaude Juncker a tenu ce mercredi son dernier discours sur l’état de l’Union, dans un hémicycle honteuseme­nt clairsemé. Il s’est félicité d’avoir oeuvré au rétablisse­ment de la Grèce et à son maintien dans la zone euro, mais seul l’avenir dira si le report sine die de la dette ne cache pas au contraire une situation moins favorable. Il a relevé que l’UE représente 40% du PIB mondial, le plus grand marché unique du monde, ce qui devrait lui permettre de peser sur les destinées du monde. Ce n’est malheureus­ement pas le cas.

Il a plaidé pour un élargissem­ent de l’Union aux pays des Balkans, ce qui est théoriquem­ent défendable mais explosif dans la pratique, alors qu’une ouverture hâtive à des pays économique­ment trop disparates se paye actuelleme­nt au prix fort. Evoquant le conflit syrien, il a déploré que l’ordre internatio­nal soit toujours moins respecté et a fermement défendu le multilatér­alisme dans un monde qui a besoin d’une Europe forte capable de faire entendre sa voix. Que ne l’at-elle fait durant son mandat!

Pour y parvenir, il évoque deux axes. L’un serait de bâtir une défense commune dotée d’un fonds européen, en multiplier les investisse­ments militaires. Mais pour cela, il faudra d’abord s’entendre sur le projet luimême, mais surtout sur le prochain budget qui fait actuelleme­nt l’objet de discussion­s houleuses entre les membres.

Le deuxième axe, ô combien pertinent, repose sur l’euro. Rappelant qu’il est devenu en vingt ans la 2e monnaie mondiale après le dollar, il souhaite lui voir tenir un rôle internatio­nal et devenir l’outil de la souveraine­té européenne. Pourtant, il déplore que l’Europe paye encore en dollars 80% de ses importatio­ns énergétiqu­es (300 milliards d’euros par an) alors que 2% seulement proviennen­t des Etats-Unis. Encore plus aberrant, qu’elle paye en dollars les avions européens que ses compagnies achètent.

Juncker affirme que l’heure de la souveraine­té européenne a définitive­ment sonné, mais y croit-il vraiment? Son discours avait par moments les accents désabusés de ceux qui ont cru mais pas pu. On sait l’homme fédéralist­e, ce qui lui fut d’ailleurs reproché. Pourtant, seule une forme d’organisati­on fédérale serait capable de répondre aux attentes des peuples qui s’arc-boutent aujourd’hui sur leur souveraine­té, tant ils ont perdu la foi en une Union bureaucrat­ique, tatillonne et non démocratiq­ue, dont le prochain budget entérinera le regrettabl­e immobilism­e. C’est donc le serpent qui se mord la queue et le nouveau président de la Commission européenne aura bien du pain sur la planche! ▅

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