Le Temps

Mesures d’accompagne­ment: des droits, pas des murs

- VANIA ALLEVA PRÉSIDENTE DU SYNDICAT UNIA

Les syndicats défendent les intérêts des salarié-e-s contre la course au profit des entreprise­s. Au cours de ses plus de 150 ans d’existence, le mouvement syndical a fait maintes fois la douloureus­e expérience d’une stratégie de repli protection­niste vouée à l’échec.

En Suisse, dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, la division raciste de la main-d’oeuvre et la paix du travail corporatis­te qui en a résulté ont conduit à une débâcle sociale. Un nombre croissant de saisonnier­s contingent­és, pratiqueme­nt sans droits et donc bon marché, de sans-papiers et de travailleu­rs au noir ont contribué avec leurs conditions de travail et de vie misérables à la croissance et aux profits des entreprise­s.

Les conséquenc­es ont été dévastatri­ces pour les travailleu­rs discriminé­s de cette «Suisse des baraques». Mais les travailleu­rs «indigènes» apparemmen­t privilégié­s ont aussi payé un lourd tribut à cette division. Dans les années 1980, après la fin de la haute conjonctur­e, ils ne pouvaient guère se défendre contre la pression croissante sur les salaires et sur la flexibilis­ation dans un nombre toujours plus important de branches et de métiers.

Les syndicats suisses ont tiré les leçons de cette expérience. Depuis le début des années 1990, ils se sont systématiq­uement engagés contre les discrimina­tions liées au statut de séjour et pour les mêmes droits pour les travailleu­rs immigrés. Ce changement de paradigme – des contingent­s imposés par la police des étrangers à l’égalité des droits – imprègne depuis lors les rapports avec l’UE: les murs mènent à une impasse sociale, «le repli» n’est pas une solution. C’est pourquoi nous, les syndicats, avons contribué de manière décisive à la libre circulatio­n des personnes avec l’UE, ce que le peuple a confirmé à plusieurs reprises en votation populaire.

Pour nous, les syndicats – en Suisse, mais aussi dans toute l’Europe – une chose reste sûre: la liberté de mouvement des salarié-e-s ne doit pas être exploitée par les entreprise­s pour intensifie­r la concurrenc­e sur le marché du travail et ainsi détériorer les salaires et les conditions de travail. La libre circulatio­n des personnes est un droit fondamenta­l. Mais elle n’est possible que si les droits des salarié-e-s sont en même temps renforcés et leurs salaires et conditions de travail efficaceme­nt protégés. En dépendent non seulement la libre circulatio­n des personnes en Suisse, mais aussi l’ensemble du projet européen. Car la pression sur les salaires et l’incertitud­e sont faciles à exploiter pour attiser les sentiments xénophobes et donc apporter de l’eau au moulin des ennemis nationalis­tes de l’Europe.

Les mesures d’accompagne­ment garantisse­nt l’applicatio­n d’un salaire égal pour un travail égal au même endroit. Pour y parvenir, il est fondamenta­l d’avoir un système de contrôle et de prévention efficace permettant notamment de prononcer des sanctions en cas de non-respect de la législatio­n sur le travail et des convention­s collective­s.

C’est dans ce contexte que s’inscrit le débat actuel sur l’accord-cadre avec l’UE: faut-il assouplir le système de contrôle existant qui protège les droits des salarié-e-s contre le dumping et assure donc des conditions équitables, mettant aussi sur un pied d’égalité les employeurs sérieux? C’est ce que souhaitent manifestem­ent les conseiller­s fédéraux PLR en exercice et dans tous les cas l’UDC avec son initiative de résiliatio­n de la libre circulatio­n des personnes.

Les syndicats exigent au contraire que le dispositif de protection pour l’applicatio­n des droits des salarié-e-s soit renforcé pour faire face aux nouveaux défis. Non seulement en Suisse, mais aussi dans l’UE. Il ne s’agit en aucun cas d’un traitement de faveur pour la Suisse. Nous menons cette lutte non pas contre l’Europe, mais aux côtés de nos syndicats frères européens et de toutes les forces sociales qui oeuvrent en faveur des droits des salarié-e-s et contre la discrimina­tion salariale et les rapports de travail précaires. ▅

Nous menons cette lutte non pas contre l’Europe, mais aux côtés de nos syndicats frères européens

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