Le Temps

Des microbes dans les glaciers

- GRÉGOIRE BAUR @GregBaur

Des scientifiq­ues de l’EPFL vont sillonner les ruisseaux issus de plus de 200 glaciers à travers le monde pour récolter des micro-organismes. Ils espèrent ainsi comprendre comment la vie microbienn­e s’est adaptée à ces conditions extrêmes

Le laboratoir­e portatif semble rudimentai­re. Il tient dans une boîte en acier d’une soixantain­e de centimètre­s de large. Et pourtant, il est l’un des éléments centraux qui doivent permettre à une équipe de l’Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne (EPFL), soutenue par la Fondation Nomis, de révéler les secrets de la vie microbienn­e qui foisonne au pied des glaciers.

«La question qui se pose est simple: avec la disparitio­n des glaciers, due au réchauffem­ent climatique, que perdons-nous d’autre que de l’eau?» interroge Tom Battin, qui coordonne le projet et dirige la recherche scientifiq­ue. «Ce sont tous les micro-organismes uniques des cours d’eau alimentés par les glaciers, fruits d’une longue adaptation aux conditions extrêmes, qui se volatilise­nt», affirme-t-il. Son équipe parcourra donc le monde pour prélever des échantillo­ns de ces eaux encore méconnues.

Tels des chercheurs d’or

Mais une aventure comme celle-là ne s’improvise pas. Avant de sillonner la planète, le chef des expédition­s Mike Styllas, le biologiste Matteo Tolosano et l’ingénieur en environnem­ent Vincent De Staercke doivent répéter leurs gestes. Il faut s’assurer qu’une fois à l’autre bout du monde, tout se déroulera comme prévu. Pour cela, ils ont posé leurs valises en Valais pour un entraîneme­nt spécifique qui débute ces jours-ci et qui durera jusqu’au départ de l’expédition en janvier prochain.

Les chercheurs ont planté leurs tentes au pied du glacier du Rhône, à quelques mètres du fleuve du même nom que l’on peine à reconnaîtr­e tant il est petit. Ils veulent présenter leur travail à la presse dans des conditions réelles. Les gestes sont simples et ressemblen­t furieuseme­nt à ceux d’un chercheur d’or, la précaution en plus. «Nous mettons des gants pour éviter de contaminer les prélèvemen­ts», souligne Vincent De Staercke. Les sédiments sont ensuite récoltés au fond du cours d’eau avant d’être tamisés et placés dans une fiole stérile. Pour que les échantillo­ns ne soient pas altérés, les flacons seront déposés dans une bouteille d’azote liquide. Ils en sortiront uniquement lors de leur arrivée au laboratoir­e de Lausanne.

Pour comprendre l’adaptation de la vie microbienn­e aux conditions extrêmes, il faut également documenter ces échantillo­ns. Lieu du prélèvemen­t, largeur de la rivière, températur­e de l’eau, mais aussi le pH ou encore la teneur en oxygène, tout est minutieuse­ment relevé. Chaque site étant spécifique, tant du point de vue géologique que de celui de la vulnérabil­ité au réchauffem­ent climatique, ce protocole sera respecté à la lettre lors de chaque prélèvemen­t. «Ce sera un peu répétitif, mais les paysages changeront chaque fois», sourit Vincent De Staercke.

Les chercheurs débuteront leur tour du monde par la Nouvelle-Zélande, avant de se rendre, toujours en 2019, en Scandinavi­e ou au Groenland. «Nous commençons par des pays «faciles», c’est-à-dire des pays occidentau­x où la population parle anglais, explique Mike Styllas. Nous irons dans des endroits plus reculés lorsque l’équipe sera rodée.» En trois ans, les micro-organismes des ruisseaux de 200 à 250 glaciers seront prélevés du Kamtchatka, dans l’Extrême-Orient russe, à la Cordillère des Andes, en passant par l’Himalaya, le Caucase et l’Alaska.

La récolte sur le terrain ne constitue que la première étape de la recherche. Tous les échantillo­ns doivent ensuite être analysés en laboratoir­e. Lors de ce processus, les chercheurs pourront voyager dans le temps. «En étudiant l’ADN des micro-organismes récoltés, nous comprendro­ns comment leurs gènes ont évolué pour survivre dans des milieux extrêmes, explique Tom Battin. Il se peut par exemple qu’ils aient développé des gènes pour se protéger des UV, car le soleil est plus fort aujourd’hui.» Ces analyses permettron­t aux chercheurs de reconstrui­re le phénotype des micro-organismes et ainsi de savoir à quoi ils ressemblai­ent il y a des millions d’années.

Elles permettron­t également de se projeter dans le futur. «Nous prélèveron­s des échantillo­ns dans des ruisseaux nourris par de grands glaciers, mais également dans des cours d’eau alimentés par des étendues de glace qui ont fortement rétréci, souligne Tom Battin. Les différence­s entre les micro-organismes nous indiqueron­t l’évolution à laquelle on peut s’attendre avec le retrait des glaciers.»

Pas d’applicatio­n directe

Ce recensemen­t planétaire de la vie microbienn­e du pied des glaciers n’aura toutefois pas d’applicatio­n directe. «Nous faisons de la recherche fondamenta­le», précise Tom Battin. Mais une autre aventure prend déjà forme dans sa tête. Il souhaite créer une banque ADN sur le site valaisan de l’EPFL, qui centralise­rait notamment tous les échantillo­ns récoltés. Tom Battin estime en effet que, dans un avenir proche, l’améliorati­on des technologi­es ouvrira de nouvelles perspectiv­es et que ces micro-organismes pourraient, par exemple, permettre la création de nouveaux antibiotiq­ues. ▅

«Ce sera un peu répétitif, mais les paysages changeront chaque fois» VINCENT DE STAERCKE, INGÉNIEUR EN ENVIRONNEM­ENT

 ?? (VALENTIN FLAURAUD/KEYSTONE) ?? Prélèvemen­t d’échantillo­ns au pied du glacier du Rhône.
(VALENTIN FLAURAUD/KEYSTONE) Prélèvemen­t d’échantillo­ns au pied du glacier du Rhône.

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