L’Orchestre de la Suisse romande dans l’objectif de Niels Ackermann
Le Genevois, connu pour ses reportages en Ukraine notamment, aborde pour la première fois l’univers de la musique classique. Il a suivi l’orchestre romand pendant sept mois à l’occasion de la célébration du centenaire de la phalange. Rencontre et visite guidée
Il fait un temps paradisiaque ce matin-là. Le lac est d’huile claire, l’air chaud caresse la peau et le jet d’eau se dresse contre un ciel myosotis. Sur le quai Wilson, trente panneaux d’affichage alignent, recto verso, une soixantaine de clichés en couleur. Leur sujet? L’Orchestre de la Suisse romande.
L’exposition a été commandée au reporter genevois pour célébrer le «premier siècle» de la phalange. Pour présenter cette déambulation photographique et musicale, mais avant tout humaine, Niels Ackermann rayonne dans sa chemise blanche. Un soleil éblouissant accueille ce travail inédit, qui a marqué le jeune homme.
Celui-ci ne sait pas encore que quelques jours plus tard, 22 panneaux seront vandalisés pendant le week-end, et retrouvés à terre. Cet acte incompréhensible n’entame pourtant pas le bonheur que le photographe a vécu lors de son travail au long cours, où il a dû sélectionner 54 images parmi plus de 6000 clichés réalisés pendant huit mois.
Les grands formats d’un mètre vingt sur quatrevingts centimètres rendent compte de la vie intime de l’OSR. En répétition, en tournée, en concert, en coulisses ou sur scène. Au repos ou au travail. En déplacement ou à domicile. Dans des ballets, opéras ou concerts symphoniques. Des portraits, des photographies d’ensemble, des moments volés à l’attente, au jeu instrumental et à la vie en communauté. Le regard du témoin, discret et sensible, révèle les sentiments qui l’ont animé lors d’une découverte inattendue.
Comment avez-vous abordé ce sujet? Pour moi, la musique classique souffre d’une image compassée, illustrée par un public âgé d’initiés. J’ai cherché à sortir de ces stéréotypes avec notamment un ring flash (flash en anneau). On l’utilise plutôt pour le rock ou le hip-hop à cause de sa lumière crue, rude, quasi médicale. Elle révèle tout. On ne peut rien cacher. Les moindres rides ou imperfections sont mises à nu. C’était pour moi une façon de rechercher la jeunesse, d’apporter une forme de nouveauté avec d’autres codes iconographiques pour actualiser la vision dorée et boisée du classique, qui m’endort. Et puis j’ai eu envie de raconter la vie cachée de l’orchestre. Son quotidien, la fatigue de ce travail, les rapports entre les instrumentistes, leur solitude dans la multitude, la relation fusionnelle qui les unit à leur instrument, comment des jeunes entrent parfois pour la vie dans le groupe, comment les anciens le quittent, ce qui se noue avec le chef…
Vous avez donc rencontré un organisme vivant et varié. Qu’est-ce qui vous a frappé?
Je m’attendais à trouver une grande famille unie avec beaucoup de solidarité et d’entraide. Et en fait, comme me le disait un musicien, j’ai découvert une multitude de petites familles, découpées souvent par catégorie d’instruments. Des liens très forts se tissent entre certains, qui vont jusqu’à créer des projets hors de l’orchestre. J’ai été frappé par l’aspect très fragmenté du groupe. Il m’a fallu passer d’un clan à l’autre alors que j’ai l’habitude de me consacrer à une entité sur laquelle je reviens sans cesse.
Que vous a apporté cette expérience? Faire un reportage en immersion ne laisse jamais indemne. Celui-ci m’a appris à aimer la musique classique. Il y a eu des moments très forts. Mon premier choc, ça a été Le Coq
d’or de Rimski-Korsakov. Quand j’ai entendu le cor imiter le cri du coq, j’ai été saisi, empoigné. Résultat, j’ai ajouté des passages de cette pièce à ma playlist sur Spotify entre du rap, du metal et autre. Et puis il y a eu les Scènes de Faust de Schumann, quand le choeur entre en jeu au début. C’est comme un film hollywoodien. Je ne m’attendais pas à vivre des sensations si intenses en musique classique. Je ne suis plus la même personne depuis. Ça a élargi mon horizon et m’a transformé sur le plan personnel. La puissance du choc sonore et émotionnel et la confrontation inhabituelle à la longueur de temps m’ont impressionné.
Votre manière de photographier s’en est-elle trouvée changée?
Oui, d’une certaine façon. J’aime la photo parce qu’elle me permet d’aborder des mondes que je ne connais pas. Quand l’OSR m’a proposé ce projet, j’ai d’abord eu peur. Je ne savais pas trop par où commencer et quoi proposer. Le début a été assez terrifiant car j’étais inquiet de cibler faux. J’ai fondamentalement besoin de me sentir à ma place et légitime pour travailler à l’aise. J’ai commencé à me sentir très progressivement à la maison, tout en essayant de rester discret pour ne pas déranger. Et j’ai découvert des personnes incroyables.
C’est-à-dire?
A la fois totalement en phase avec la vie moderne et profondément ancrées dans une tradition et une discipline dont ils sont les messagers. C’est très touchant. Quand j’ai vu que la hautboïste solo Nora Cismondi portait des Doc Martens, j’ai réalisé là que la jeunesse n’avait rien à voir avec le genre ou le style. Et quand j’ai constaté que dans la salle, les cheveux blancs n’étaient de loin pas une généralité, ça a complètement bousculé mes propres clichés… c’est le cas de le dire…
«J’aime la photo parce qu’elle me permet d’aborder des mondes que je ne connais pas»
«Classique?», quai Wilson, jusqu’au 30 septembre.