Le Temps

L’affaire Maudet ébranle le gouverneme­nt

GENÈVE Le Conseil d’Etat a présenté un programme de législatur­e équilibré mais qui ne convainc pas grand monde. Malgré les efforts oratoires de toutes les parties, la situation politique de Pierre Maudet pourrait brouiller le message gouverneme­ntal

- DAVID HAEBERLI ET LAURE LUGON ZUGRAVU @David_Haeberli, @LaureLugon

Au sortir de sa semaine de tous les dangers, le Conseil d’Etat genevois a-t-il réussi à éteindre l’incendie? Mercredi, une séance protocolai­re entre le Pouvoir judiciaire et Mauro Poggia, suppléant de Pierre Maudet, a dû être annulée. Jeudi, la destitutio­n de ce dernier de la présidence du canton est intervenue au moment où l’affaire de son voyage à Abu Dhabi prenait une dimension nationale, la présidente du PLR, Petra Gössi, appelant à demi-mot Pierre Maudet à démissionn­er. Ce vendredi, malgré les efforts oratoires du personnel politique, la crise née de l’affaire Maudet a jeté une ombre sur la présentati­on du programme de législatur­e ambitieux et un projet de budget 2019 – assorti d’un plan financier quadrienna­l – ménageant la chèvre et le chou.

Le canton se donne jusqu’en 2023 pour réaliser trois objectifs incontourn­ables: la mise en service du Léman Express, qui met le Grand Genève sur les rails, la réforme de l’imposition des entreprise­s PF17 qui ne souffrirai­t pas l’échec, et la consolidat­ion de la Caisse de prévoyance de l’Etat de Genève (CPEG).

Dans son plan financier quadrienna­l, le Conseil d’Etat a eu pour souci de maintenir les prestation­s à la population ainsi que de consentir des investisse­ments très importants, dans les infrastruc­tures notamment, 3,3 milliards de francs sur quatre ans. «Un choix politique», a insisté le président du Conseil d’Etat, Antonio Hodgers. Pour autant, il veut renouer avec les chiffres noirs dès 2021. C’est donc qu’il faudra épargner. Comment? «Grâce à un plan de mesures proportion­né qui permette de compenser la hausse des charges», répond la ministre Nathalie Fontanet, chargée des Finances. Objectif: améliorer le résultat de 596 millions de francs sur quatre ans.

Primo, un effort sera demandé à la fonction publique pour 281 millions de francs: suspension de l’annuité, non-indexation des salaires en 2019 et engagement de nouveaux collaborat­eurs avec deux classes de salaire en dessous pendant deux ans. Ce qui laisse présager les pires empoignade­s, selon un scénario connu et répété ces dernières années. Secondo, il s’agira de répartir plus équitablem­ent les ressources entre le canton et les communes. Tertio, en réformant l’aide sociale. Mais à ce stade, on n’en connaît pas le détail. Enfin, des mesures fiscales devraient permettre, à terme, de faire rentrer 147 millions de francs: engagement de taxateurs supplément­aires, réévaluati­on du patrimoine immobilier.

La lumière en 2021

En attendant la lumière en 2021, il faudra se contenter en 2019 d’un budget déficitair­e de 89 millions de francs, avec des charges de 8,494 milliards de francs et des revenus en augmentati­on de 3,1%. La hausse des charges, «sous contrôle», sera de 1,8%, et l’augmentati­on des postes de 2%. C’est la formation qui glane le plus grand nombre de postes et 35,5% de budget supplément­aire par rapport à 2018, eu égard notamment à l’augmentati­on démographi­que et à la formation obligatoir­e jusqu’à 18 ans.

Ce projet ne convainc ni à gauche, ni à droite. «C’est un compromis sans choix véritable et sans appréhensi­on du futur, estime Cyril Aellen, chef de groupe PLR au Grand Conseil. On augmente les charges, mais pas trop, on économise un peu, mais pas trop, on consent quelques réformes, mais pas trop. Et il postule une augmentati­on importante de la dette.» Celle-ci pourrait en effet avoisiner les 12 milliards en 2022, évitant de justesse le frein à l’endettemen­t. Thomas Wenger, chef de groupe socialiste, n’est pas plus enthousias­te, pour d’autres raisons: «Le PS dénonce des mesures importante­s sur le dos de la fonction publique et des coupes sociales envers les plus vulnérable­s et la classe moyenne. Le Conseil d’Etat écarte un peu plus les mailles du filet social tandis que les très hauts revenus et les grandes fortunes passent au travers du filet fiscal.»

Sans surprise, Ensemble à gauche dénonce un budget d’austérité. Le PDC, quant à lui, estime que le budget n’est «pas réaliste». En cause: «Une augmentati­on des charges supérieure à la croissance prévue de la population et la hausse massive des postes de travail». En outre, il doute de la capacité à faire avaler au parlement les mesures sur la fonction publique. A juste titre. Un premier catalogue de mesures a été présenté aux représenta­nts syndicaux en juillet, mais le temps leur a manqué pour répondre au Conseil d’Etat durant l’été, fait savoir ce dernier: «Nous leur avons donc indiqué qu’on procédera à un choix et qu’on reviendra vers eux», explique Nathalie Fontanet. Les négociatio­ns n’ont donc pas encore commencé. Bref, les mêmes blocages qu’avant l’éclatement de l’affaire Maudet perdurent.

Répondant au désir formulé par le nouveau président du Conseil d’Etat, Antonio Hodgers, les partis gouverneme­ntaux se sont efforcés de séparer les priorités politiques du Conseil d’Etat du contexte de l’affaire Maudet. Possible? «Oui, répond Thomas Wenger. Je pense que cette affaire n’est pas de nature à obérer les discussion­s autour de ces projets politiques. Si le climat de confiance est rompu à l’égard de Pierre Maudet, il ne l’est pas à l’égard du gouverneme­nt.» Jusqu’ici en effet, le sens des responsabi­lités semble prévaloir.

Nouvel appel à la démission

Cela n’empêchera sans doute pas la cavalerie parlementa­ire de continuer sa course. La Commission de contrôle de gestion avait déjà mis le Conseil d’Etat sous pression en demandant, par une résolution, que la responsabi­lité de la police et de l’aéroport soit retirée à Pierre Maudet. C’est chose faite. Certains de ses membres s’apprêtent à lancer un appel à la démission via une nouvelle résolution. Reste à convaincre une majorité de la voter et de demander son traitement en urgence lors de la prochaine séance parlementa­ire, jeudi prochain.

Vendredi, l’épouse de Pierre Maudet s’est exprimée pour la première fois sur les réseaux sociaux. «Essayer de faire trébucher (mon mari) en utilisant nos enfants, c’est ignoble», a-t-elle commenté en reproduisa­nt le mail d’un journalist­e de la Tribune de Genève aux autorités. Ce dernier cherche à savoir si une demande de congé scolaire avait été déposée, l’élu PLR ayant soutenu que le voyage familial dans les Emirats était une affaire privée. L’émotion était déjà forte à Genève depuis plusieurs semaines. Elle ne retombe pas. Les premières auditions du conseiller d’Etat par ses juges d’instructio­n vont-elles ramener un peu de sérénité?

«Si le climat de confiance est rompu à l’égard de Pierre Maudet, il ne l’est pas à l’égard du gouverneme­nt»

THOMAS WENGER, CHEF DU GROUPE SOCIALISTE

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(SALVATORE DI NOLFI/KEYSTONE) L’affaire Maudet a jeté une ombre sur la présentati­on du programme de législatur­e du Conseil d’Etat.

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