Le Temps

La législatur­e immobile

- YVES PETIGNAT JOURNALIST­E

Que d'énergie dépensée pour que rien ne bouge! Au terme de débats très vifs, le Conseil national a sauvé de justesse deux des projets fondamenta­ux de la législatur­e: la réforme de la fiscalité des entreprise­s et le refinancem­ent de l'AVS. Un maquignonn­age, n'ont cessé de dénoncer l'UDC et les Vert'libéraux en désignant le couplage des deux projets. Le couteau sous la gorge, les députés n'avaient d'autre choix. Le score moins serré qu'attendu devrait donc exclure un renverseme­nt de dernière minute en votation finale. Devant le peuple, comme l'annoncent les jeunes Verts, nous entrerons dans le temps de l'incertitud­e. Comme on dit dans le rugby face à la fragilité du score: «à tout moment les mouches peuvent encore changer d'âne».

Pourtant, le succès de l'alliance entre le PS, le PLR et le PDC n'effacera pas le sentiment d'une législatur­e perdue. A un an du renouvelle­ment du parlement, le bilan politique est décevant. Il aura fallu près de huit ans et un échec devant le peuple pour accoucher d'une réforme de l'imposition des entreprise­s compatible avec les exigences de l'OCDE et de l'UE. Quant à l'AVS, il ne s'agit encore que d'un refinancem­ent dans l'urgence, par une hausse de cotisation, en attendant la réforme en profondeur qui a toujours échoué jusqu'ici. Des années d'efforts, de négociatio­ns, de recherche de compromis pour un seul résultat: conserver les choses en l'état. Préserver la situation des retraites et l'attractivi­té fiscale du pays.

Ceux qui avaient espéré un nouvel élan de réformisme, un vent de libéralism­e, avec la nette poussée à droite du parlement en 2015, puis avec l'élection du très libéral Ignazio Cassis, doivent déchanter. La Suisse ne s'est toujours pas confrontée aux grands défis qui l'attendent. Les relations avec l'UE sont menacées de glaciation, faute de volonté politique et de direction stratégiqu­e de la part du Conseil fédéral. Egalité entre femmes et hommes, congé parental, chômage de longue durée des plus de 50 ans, augmentati­on sans fin de l'assurance maladie, interdicti­on des pesticides, pénalisati­on fiscale du mariage, protection de la sphère privée dans l'environnem­ent numérique: sur tous ces sujets qui touchent à l'améliorati­on des droits et de la qualité de vie des Suisses, rien n'a avancé. Mais surtout, malgré la dizaine d'interventi­ons parlementa­ires s'opposant à «l'inflation normative», à l'augmentati­on du nombre de lois et ordonnance­s, la réglementa­tion fédérale n'a cessé de progresser, relevait le politologu­e Wolf Linder dans Domaine Public. Particuliè­rement dans le secteur économique contraint de s'adapter au droit européen. Le bloc PLR-UDC s'est montré impuissant à l'endiguer, quand, en voulant libérer les entreprise­s, il n'y a pas contribué.

Car les débats de ce mercredi sur le paquet «social-fiscal» ont montré une fois de plus l'impossibil­ité d'organiser un front commun entre libéraux et nationaux conservate­urs. Malgré des convergenc­es en matière économique, leurs conception­s respective­s de l'Etat et surtout de la responsabi­lité gouverneme­ntale divergent trop. Les tensions et le bras de fer engendrés par ce dossier auront surtout illustré à quel point désormais l'idéologie et l'intoléranc­e tendent à remplacer le pragmatism­e et le sens du compromis qui caractéris­aient la politique fédérale. Avec la faiblesse d'un gouverneme­nt sans force de propositio­n et sans leadership, ce sont là les raisons de cette législatur­e perdue.

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