Le Temps

La Coupe Davis avait des vertus

La Suisse, à égalité vendredi soir avec la Suède, dispute ce week-end son dernier match de Coupe Davis «ancienne formule» à Bienne. Nostalgiqu­e ou déçu, le dernier carré de supporters est venu dire adieu à une compétitio­n à nulle autre pareille

- LAURENT FAVRE, BIENNE @LaurentFav­re

C’est un peu un enterremen­t, mais ils y vont gaiement, tous habillés de rouge et de blanc. Sur le parking situé à mi-chemin entre les trois stades de football et hockey, d’un côté, et de tennis, de l’autre, les voitures stationnée­s proviennen­t de tout le pays: Jura, Valais, Tessin, les deux Bâles, Zurich, Grisons, Genève, Zoug, etc.

Il fait beau, même un peu chaud, et il traîne dans l’air des odeurs de saucisses et de fromage à raclette fondu. Une tente est décorée comme pour le 1er Août, mais les quelques centaines de personnes présentes profitent encore du soleil de septembre avant d’aller se mettre sous halle pour une durée indétermin­ée. Dans quelques minutes, la Suisse affronte la Suède en barrage du groupe mondial de Coupe Davis. Le premier simple oppose Marc-Andrea Hüsler, 22 ans, 386e mondial, au Suédois Markus Eriksson, 455e. Pas franchemen­t une affiche, mais assurément un évènement: le dernier match de Coupe Davis disputé sur sol helvétique.

Une phase finale style «Coupe du monde»

A partir de 2019, il n’y aura plus qu’un tour qualificat­if, possibleme­nt contre un adversaire très inférieur si la Suisse est tête de série, avant une phase finale style «Coupe du monde», avec 18 pays réunis sur terrain neutre, six poules de trois, cinq tours à passer jusqu’à la victoire et, pour caser tout ça sur une semaine, des rencontres réduites au strict minimum: deux simples et un double disputés en deux sets gagnants. Les lieu et dates de la première édition ne sont pas encore connus et le processus de qualificat­ion pas très clair. «J’avoue que je n’ai pas tout compris non plus», reconnaiss­ait jeudi Severin Lüthi, le capitaine de l’équipe de Suisse.

Ce qui est évident, c’est que ce format condensé devrait rapporter un saladier et n’aura plus grand-chose à voir avec la Coupe Davis. La mort annoncée de cette compétitio­n à nulle autre pareille choque les puristes. Ces passionnés ne sont pourtant qu’un petit millier ce vendredi à Bienne. A défaut de remplir les tribunes, la halle modulable construite par Swiss Tennis avec l’argent des exploits de Stan Wawrinka et Roger Federer mais en prévision de leur absence remplit sa mission: organiser à moindres frais des rencontres devenues déficitair­es.

Federer et Wawrinka n’apparaisse­nt que sur une plaque le long de l’allée qui porte son nom pour l’un, sur le poster géant d’un sponsor pour l’autre. Le tennis suédois, lui, va encore plus mal que la Coupe Davis, qu’il remporta sept fois entre 1975 et 1998: les Suédois n’ont plus aucun joueur dans le top 100.

Humour noir

Il n’y a donc a priori pas grandchose à regretter. Pourtant, à l’heure de l’apéro, le dernier carré de fidèles a le coup de blanc un peu amer. «Je suis là pour dire adieu à une époque», affirme Alain Stettler, venu de Carrouge (VD). Avec des amis («Nous sommes venus à 12, mais nous étions parfois 30 à certains déplacemen­ts»), il a confection­né une banderole pleine d’humour noir, sur laquelle on peut lire: «On nous a Piqué notre coupe.» «Piqué» comme Gerard Piqué, le joueur du FC Barcelone derrière le groupe qui a racheté la Coupe Davis. «Désormais, il y aura deux wild-cards, histoire d’inviter quand même des stars qui auraient été éliminées. Ce n’est pas ma conception du sport», regrette Alain Stettler.

Non loin, Bruno Filisetti, supporter lausannois pressé de regagner sa place avant le début des hymnes, jure lui aussi qu’il ne suivra plus la Coupe Davis. «Par principe, je vais boycotter la nouvelle formule», promet-il. Pourquoi? «Parce que tout ce que nous aimions n’y figurera plus.» Ce qu’ils aimaient, surtout lors des rencontres à l’étranger, c’était ce moyen unique de voyager, de voir du tennis et de faire des rencontres. Et d’échanger avec les joueurs suisses. «A Palexpo, il y a trop de monde, mais en déplacemen­t, il y avait toujours un moment avec l’équipe. A Amsterdam, Federer discutait avec Geneviève comme s’ils se connaissai­ent», se souvient-il avant de s’échapper (sans préciser qui est Geneviève…).

«J’aime aussi le football et le hockey, mais le tennis est beaucoup plus mixte et familial. Personne ne se sent exclu», détaille Alain Stettler, qui a «fait» Toulouse, Astana, Minsk, comme un grognard qui aurait fait les campagnes napoléonie­nnes.

Arianne, Marie France, Sandra et Martine, deux Jurassienn­es et deux Zurichoise­s, se sont connues lors de l’un de ces périples. Toutes membres du Club des supporters de l’équipe de Suisse, «à une époque, c’était préférable pour avoir des billets», elles sont allées à Novi Sad («Il faisait froid»), à Dallas, à Minsk et même deux fois en Alabama. «Cinq jours aller-retour, avions compris», souligne Arianne. «En même temps, il n’y a rien en Alabama, à part un bar où nous avons rencontré Jim Courier», ajoute Marie France («sans trait d’union»). C’était toujours surprenant, drôle, et souvent moins cher qu’en Suisse «où le billet coûte 69 francs par jour et le verre de blanc est à 15 francs!» dénoncent-elles.

Montagnes russes

A Bienne, elles ont vu Marc-Andrea Hüsler perdre le premier simple alors qu’il menait deux sets à rien, 4-1 dans la troisième manche. A 4-4 et 40-15 sur son service, le jeune gaucher zurichois chuta lourdement et sembla dès lors touché au genou droit. Avec le nouveau format de Coupe Davis, il aurait gagné en 1h30 sans trop de problèmes. Au lieu de ça, il s’embarqua – le public sur son porte-bagages – dans un marathon en cinq sets, perdu 6-3 6-4 4-6 6-7 4-6 en 3 h 42.

C’était parti pour un week-end de montagnes russes émotionnel­les, des horaires de retour à la maison aléatoires, un suspense garanti jusqu’à dimanche. Au moins profiteron­t-ils jusqu’au bout de cette Coupe Davis qui avait tout de même quelques vertus.

«Je vais boycotter la nouvelle formule parce que tout ce que nous aimions n’y figurera plus» BRUNO FILISETTI, SUPPORTER LAUSANNOIS

 ?? (PETER SCHNEIDER/ KEYSTONE) ?? Vendredi aprèsmidi, on ne comptait qu’un petit millier de supporters dans la halle modulable construite par Swiss Tennis à Bienne. Les puristes ont du mal à faire leur deuil de la Coupe Davis telle qu’ils l’ont toujours connue.
(PETER SCHNEIDER/ KEYSTONE) Vendredi aprèsmidi, on ne comptait qu’un petit millier de supporters dans la halle modulable construite par Swiss Tennis à Bienne. Les puristes ont du mal à faire leur deuil de la Coupe Davis telle qu’ils l’ont toujours connue.

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