Le Temps

La Coupe Davis, des émotions à la puissance 10

- *Ancien joueur de tennis PAR MARC ROSSET *

La Coupe Davis telle que je l’ai connue et aimée se meurt. C’est ainsi, ce qui est fait est fait et il faudra voir ce que donnera la nouvelle mouture de la compétitio­n. Comme on dit, il faut laisser sa chance au produit, mais je doute que les joueurs puissent éprouver des émotions aussi fortes que celles, uniques, que générait l’ancienne formule. On ne verra plus Pete Sampras gagner en cinq sets en Russie sur terre battue, ni Roger Federer et Stan Wawrinka débarquer dans un bled comme Novi Sad.

J’ai joué pendant quatorze ans en Coupe Davis et j’ai des anecdotes sur chaque rencontre, alors que l’année où je gagne la World Team Cup avec Jakob Hlasek (1996) – un format sur une semaine qui ressemblai­t à ce que sera la nouvelle compétitio­n – je me souviens surtout du chèque. La Coupe Davis, c’était tout un processus. Il y avait le rassemblem­ent de l’équipe le dimanche, le voyage ensemble, la découverte du court – souvent un traquenard –, les entraîneme­nts, la soirée officielle du mercredi, le tirage au sort du jeudi, les matchs sur trois jours. Et au final, une semaine entière en autarcie avec des potes, pour des victoires joyeuses ou des défaites douloureus­es mais dans une ambiance particuliè­re. Aujourd’hui, avec le recul, ma défaite en 5h50 de jeu, 15-13 au 5e set, contre Arnaud Clément en 2001 à Neuchâtel, est l’un de mes souvenirs les plus forts.

Sentiment d’appartenan­ce

J’ai toujours été attiré par la Coupe Davis. Pour moi, c’était le prolongeme­nt de l’esprit des Interclubs, que j’avais découvert au TC Drizia-Miremont. Jouer pour son club, se battre pour ses copains, devant un public qui se comportait comme des supporters; il y avait un très fort sentiment d’appartenan­ce à un groupe qui, moi, me faisait vibrer. La Coupe Davis, c’était ça à la puissance 10. Cela me rendait très nerveux, mais ça ne m’a jamais empêché de faire de très bons matchs.

Le vendredi soir de la fameuse demi-finale contre le Brésil à Palexpo (1992), j’avais même fait le mur avec Thierry Grin pour aller boire un verre. Je n’arrivais pas à dormir, mais j’étais bien. La seule fois où la tension m’a vraiment bouffé de l’intérieur, c’est à Toulouse en 2003: j’étais capitaine et joueur, je mettais des branlées à tout le monde à l’entraîneme­nt, mais je ne savais pas si je devais me faire jouer en simple.

Les rencontres à l’extérieur sont souvent celles dont on se souvient le plus. Avec la Suisse, on a joué dans un hangar au Zimbabwe. A Hamilton en Nouvelle-Zélande,

Avec la Suisse, on a joué dans un hangar au Zimbabwe. A Hamilton, en Nouvelle-Zélande, il devait y avoir plus de moutons que d’habitants

il devait y avoir plus de moutons que d’habitants. J’ai débuté en 1990 en Tchécoslov­aquie contre Milan Srejber. Défaite 6-3 6-2 6-4. La surface, c’était du plexiglas ou un truc du genre; ça allait à 1000 à l’heure. Le match suivant à Davos, on a voulu faire le même coup aux Russes, mais c’était tellement rapide que même eux gagnaient tous leurs jeux de service!

J’ai joué une fois en Israël, avec premiers simples le jeudi et match le samedi matin à 8h: il fallait avoir fini avant le début de Yom Kippour! A Belgrade, contre Goran Ivanisevic qui jouait pour ce qui était encore la Yougoslavi­e, je menais deux sets à un. A chaque ace ou service gagnant, le juge de ligne annonçait une faute de pied. On a réussi à le faire sortir du court mais il s’est installé en tribune et a continué de crier «faute!» J’ai fini par perdre.

Un autre qui m’a fait perdre mes nerfs, c’est ce type à Harare en 1994 qui criait «Com’on Zimbaaa-bwe» après chaque point. Il m’énervait tellement que je l’ai pourri d’insultes à la fin du premier simple, perdu évidemment. Le lendemain, soirée officielle: le type était président de la fédération zimbabwéen­ne…

Une journée à la James Bond

On gagne quand même ce match et on va retrouver notre place dans le groupe mondial à Djakarta. Pour nous récompense­r, le président de Swiss Tennis nous offre une journée James Bond avant de repartir: hélico sur le toit de l’hôtel et baignade sur une île paradisiaq­ue. Je me souviendra­i toujours du regard émerveillé de Sandro Della Piana, qui goûtait là sa première sélection après dix ans à galérer dans les tournois satellites.

Evidemment, ça n’a pas toujours été aussi glorieux. En 1996, on joue l’Allemagne à Palexpo. Sur les affiches, il y a Becker, Stich, Rosset et Hlasek. Les deux stars allemandes sont absentes et moi, je me suis cassé la main en m’énervant sur un panneau publicitai­re en Hopman Cup! J’essaie de tenir ma place avec la main anesthésié­e, mais on ne peut pas jouer au tennis avec trois doigts…

L’avenir des supporters

Quand je suis devenu capitaine, j’ai insisté pour qu’il y ait au minimum un moment de partage avec les supporters. Mais c’est surtout en suivant la Coupe Davis comme consultant pour la RTS que j’ai commencé à vraiment discuter avec les fans. Ce sont souvent les mêmes que l’on retrouve partout, des passionnés qui prennent sur leurs vacances. Au fil du temps, ils ont appris à se connaître, ils sont contents de se retrouver.

Vont-ils pouvoir continuer à suivre la Suisse s’il faut aller une semaine en Chine? Je me souviens d’une discussion en 2014 avec un père de famille: ses deux fils jouaient en Interclubs, il dépensait 15000 francs par saison pour eux, mais il n’avait pas pu trouver de place pour la demi-finale contre l’Italie alors qu’à Genève, des types que ça intéressai­t moyennemen­t se faisaient inviter en loges.

Aujourd’hui, je me demande ce que tous ces gens vont devenir. Je pense à eux en me disant qu’ils sont les grands oubliés de la réforme de la Coupe Davis, et peut-être les principale­s victimes.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland