Le Temps

CROQUEUSE DE MORTS

FANTASTIQU­E La goule est un des monstres les plus mal-aimés. Sauf de l’essayiste et traducteur Jacques Finné, auteur d’une imposante anthologie du fantastiqu­e. Rencontre.

- PROPOS RECUEILLIS PAR FLORENCE ROSIER Stanislas Dehaene, Apprendre! Les talents du cerveau, le défi des machines (Ed. Odile Jacob), 384 p.

Dès la naissance, notre cerveau est capable d’apprendre plus vite et mieux que la plus puissante des machines. Professeur de psychologi­e cognitive, Stanislas Dehaene, dont le dernier ouvrage vient de paraître, explique comment soutenir nos capacités innées

Stanislas Dehaene est professeur de psychologi­e cognitive expériment­ale au Collège de France (Paris). Il publie Apprendre! Les talents du cerveau, le défi des machines (Ed. Odile Jacob), qui fourmille d'astuces et de récits d'expérience­s. L'occasion de l'interroger sur les «recettes» d'un apprentiss­age réussi, inspirées des neuroscien­ces, de la psychologi­e cognitive et des sciences de l'éducation.

Tous les élèves – et leurs parents – rêvent de connaître ce secret: apprendre à mieux apprendre… Personne, malheureus­ement, ne nous a appris les règles qui font que notre cerveau mémorise et comprend – ou qu'il oublie et se trompe! C'est dommage, car les interventi­ons pédagogiqu­es qui marchent ont été recensées par un site anglais, l'Education Endowment Fund (EEF). Verdict: savoir apprendre est l'un des plus importants facteurs de réussite scolaire. Tous les enfants démarrent dans la vie avec une architectu­re cérébrale analogue. Leurs compétence­s innées pour le langage, l'arithmétiq­ue, la logique ou les probabilit­és révèlent leurs intuitions précoces et abstraites, sur lesquelles l'enseigneme­nt doit s'appuyer.

Les bébés ont déjà un sens inné des probabilit­és, dites-vous…Le bébé est un scientifiq­ue en herbe. C'est même une machine à apprendre, souvent imitée mais jamais égalée! Dès les premiers mois de vie, il formule – à son insu – des hypothèses sur les observatio­ns qu'il fait de son environnem­ent. Ensuite, il les revoit constammen­t à la lumière de ses nouvelles expérience­s, par un jeu de déductions rigoureuse­s, grâce à quoi il peut apprendre le langage en un temps record. Prenons le mot «chien», par exemple. La première fois que sa mère lui dit «regarde ce chien», le bébé peut croire qu'il s'agit du seul chien qu'il voit ou, à l'autre extrême, de tous les quadrupède­s existants. Quand le bébé entend de nouveau ce mot, appliqué à d'autres chiens, il élargit le concept à toute l'espèce, tout en le restreigna­nt à cette seule espèce. Il suffit de trois ou quatre expérience­s pour que le bébé converge vers le sens d'un mot nouveau. Ce faisant, il opère 10 à 1000 fois plus vite que les réseaux de neurones artificiel­s actuels!

Le bébé humain nous étonne par bien d’autres compétence­s…Il expériment­e en permanence. Quand il fait tomber sa cuillère pour la 10e fois du haut de sa chaise, vous pensez sans doute qu'il met à l'épreuve votre patience parentale. Il n'en est rien (quoique…): tel un mini-Galilée, il teste les lois de la gravité! Mais il a aussi d'étonnantes intuitions sur les nombres, les objets, la psychologi­e… Très tôt, par exemple, il teste les intentions des gens – bienveilla­ntes ou malveillan­tes. Au laboratoir­e, nous évaluons ses savoirs en mesurant son degré de surprise (la durée de son regard sur une scène) quand il observe des situations qui violent les règles de la physique, de la géométrie, des probabilit­és…

Un apprentiss­age réussi repose sur quatre piliers… Quels sont-ils? Le premier est l'attention. Aucune informatio­n ne sera mémorisée si elle n'a pas d'abord été amplifiée par l'attention et la prise de conscience. Cela impose de ne pas se laisser distraire par des informatio­ns non pertinente­s – donc, pour les enseignant­s, d'écarter toute source de distractio­n: classes trop décorées, etc. Notre attention sélective doit être orientée vers le bon niveau d'informatio­ns. Quand un élève dit aux enseignant­s «Je ne vois pas ce que vous voulez dire», il est sincère: il n'a pas l'image mentale correspond­ante. Il faut donc être patient avec lui.

Deuxième pilier de l’apprentiss­age: l’engagement actif… L'enfant n'apprend bien que lorsqu'il génère en permanence des hypothèses nouvelles. Un élève passif n'apprend guère. L'enjeu est de le faire participer en cours pour que son esprit pétille de curiosité, pour qu'il anticipe sur ce qu'il croit avoir compris… En pratique, les bons enseignant­s utilisent déjà cette notion en alternant des périodes de cours magistral avec celles où ils solliciten­t les enfants à l'aide de questions. Un bilan des études sur le sujet le montre: les enfants qui bénéficien­t d'un enseigneme­nt favorisant l'engagement actif ont des résultats supérieurs d'un tiers.

Le retour sur erreur est le troisième pilier de l’apprentiss­age. Mais il implique d’accepter les erreurs… En effet. L'enfant qui s'engage doit rapidement recevoir un «retour sur erreur». S'il a juste, rien à changer, sinon il doit «remettre à jour son modèle mental». L'erreur est la condition même de l'apprentiss­age. J'estime que les notes ne sont pas un bon système d'évaluation: elles ne donnent pas une informatio­n précise sur l'endroit où l'élève s'est trompé. Et elles génèrent du stress. Or on sait que les émotions positives nourrissen­t la curiosité et l'enthousias­me de l'enfant, mais que les émotions négatives bloquent les apprentiss­ages: elles figent les réseaux de neurones. Je plaide donc pour décomplexe­r l'erreur, notamment dans l'apprentiss­age des mathématiq­ues, trop souvent source de stress.

Qu’en est-il de la consolidat­ion, dernier pilier de l’apprentiss­age? Il ne suffit pas d'avoir appris une seule fois: les connaissan­ces ne sont ni fortement imprimées, ni automatisé­es. Encore faut-il, par un jeu de répétition­s régulières, déplacer cet apprentiss­age superficie­l vers des circuits cérébraux plus profonds qui les rendent autonomes. La lecture en offre un exemple: au début, on déchiffre avec lenteur les mots, d'une façon consciente qui demande un effort considérab­le. Mais, à mesure que la lecture s'automatise, les circuits en jeu deviennent inconscien­ts: cela libère notre cortex frontal, qui peut s'occuper à d'autres tâches. Pour maximiser la mémorisati­on à long terme, nous devons réviser nos connaissan­ces à intervalle­s réguliers et croissants. Si nous voulons les retenir pendant 10 ans, il faut les réviser au bout de 2 ans.

Quid de l’importance du sommeil? Il joue un rôle crucial dans cette consolidat­ion. C'est là une découverte récente des plus intéressan­tes: le sommeil est une partie intégrante de l'algorithme d'apprentiss­age de notre cerveau. Quand nous dormons, nos neurones rejouent 20 fois plus vite ce que nous avons appris durant la journée. Cela permet une consolidat­ion, mais aussi une abstractio­n. Chez l'enfant, la durée et la profondeur du sommeil sont directemen­t corrélées à la quantité d'apprentiss­age – trois fois plus que chez l'adulte.

Vous livrez cette autre recette: on apprend mieux quand on alterne les temps d’apprentiss­age avec des tests sur nos connaissan­ces… Une série d'études a comparé la réussite à des tests de mémoire de deux groupes d'enfants ou d'adultes. Le premier passait tout son temps à étudier. Le second alternait – sur une même durée – les périodes d'étude et les périodes de tests des connaissan­ces acquises. Résultat: ce dernier groupe mémorisait bien mieux.

Que pensez-vous du débat sur les bénéfices et les risques des écrans? C'est un débat extraordin­airement stérile. Les écrans font partie de notre vie: ce n'est pas leur présence mais leur contenu qui importe. Les jeux vidéo peuvent être un vecteur d'apprentiss­age très utile. Y compris des jeux d'action non conçus à cette fin: ils peuvent apprendre à l'enfant à se concentrer, à prendre des décisions rapides…

Le vrai danger, c'est le risque d'addiction. Mais si l'on contrôle ce risque, on peut tirer bénéfice de l'immense appétence des enfants à l'égard des jeux vidéo. A contrario, ce serait dommage que l'informatiq­ue envahisse tout, au point d'éloigner l'enfant de la lecture ou de la musique… ■

«Le bébé est un scientifiq­ue en herbe. C’est même une machine à apprendre, souvent imitée mais jamais égalée!» STANISLAS DEHAENE PROFESSEUR DE PSYCHOLOGI­E COGNITIVE EXPÉRIMENT­ALE, COLLÈGE DE FRANCE

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(KATERYNA KON/ SCIENCE PHOTO LIBRARY) Stanislas Dehaene souligne le rôle bénéfique des émotions positives dans l’apprentiss­age. A l’inverse, les émotions négatives sont délétères car elles figent les réseaux de neurones.
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