MÉTAMORPHOSES ADOLESCENTES
Entre «Twilight» et «The end of the f***ing world», la nouvelle série fantastique de Netflix raconte la fugue d’une jeune fille qui prend l’apparence des inconnus qu’elle rencontre. Malgré ses bons sentiments, le périple de «The Innocents» ne parvient pas à nous embarquer
Mystique, vous connaissez? Issue de l’univers Marvel, cette mutante à la peau luisante recouverte d’écailles bleu roi est capable de prendre l’apparence de n’importe quel être humain, empreintes digitales comprises. Un pouvoir bien pratique lorsqu’il s’agit d’espionner ses ennemis incognito, à commencer par le gang des X-Men.
Maintenant, imaginez une Mystique qui n’aurait aucun contrôle sur ses métamorphoses, pas le moindre dessein maléfique (et un épiderme un poil moins exotique). Vous obtiendrez un portrait éclair de June McDaniel, adolescente aux pouvoirs insoupçonnés et héroïne de la nouvelle série fantastique de Netflix, The Innocents.
RITES DE PASSAGE
Mise en ligne à la fin d’août, cette fiction britannique raconte la fugue, la veille de ses 16 ans, de la douce June et de son grand amour Harry Polk. Les tourtereaux ont prévu de rejoindre Londres pour échapper à leurs contextes familiaux respectifs, un père ultra-contrôlant pour elle, une mère autoritaire pour lui. Une fois sur les routes, l’euphorie est pourtant de courte durée: alors qu’un inquiétant gaillard à l’accent norvégien tente de kidnapper June, celle-ci prend soudainement son apparence. Seuls les miroirs de leur motel révèlent à Harry que, derrière ce barbu bourru et négligé, se cache en réalité son amoureuse au teint diaphane. Et voilà qu’il sanglote tout habillé dans la baignoire. Malaise.
La transformation n’est que temporaire, mais au-delà de la terreur qu’elle inspire au jeune couple, celui-ci comprend vite qu’il est traMais qué. Se dessine alors la figure d’un gourou scientifique aux motivations plutôt douteuses qui rassemble, dans une ferme isolée en Norvège, d’autres shifters comme June. A commencer par sa mère, Elena, qui a mystérieusement abandonné le foyer trois ans auparavant… Comme Twilight, Teen Wolf ou encore la récente adaptation de comics de Marvel Cloak & Dagger,
The Innocents s’inscrit dans la tradition des sagas pour ados mêlant romance, drame et une cuillerée de surnaturel. Plus sombre et mature que ses cousines, la série évite toutefois les travers sirupeux du genre et a notamment le bon goût de suggérer la majorité des transformations de June plutôt que d’en faire un défouloir pour effets spéciaux graveleux.
Si la métamorphose est un obstacle original à la quête de liberté des deux personnages, elle est plus intéressante encore dans ce qu’elle dit de l’adolescence. Le pouvoir maudit de June reflète, de manière quasi explicite, cet âge où le corps change, où l’on se sent confus, dépassé, où notre propre reflet nous est parfois étranger. La quête de soi et de ses racines, mais aussi l’émancipation, l’éveil de la sexualité et les premières sorties alcoolisées, tous ces rites de passage ponctuent le périple des deux rebelles en herbe, à l’image de la fugue d’un autre duo de fugueurs dans la série Netflix The End of the f***ing world.
GUERRIERS SANGUINAIRES
Ce grand saut dans l’inconnu, June et Harry l’affrontent main dans la main. Même si la main en question est celle d’un Norvégien trapu. Et c’est cette relation inconditionnelle qui fait réellement The
Innocents: la pureté d’un premier amour, entre adoration et naïveté, qu’incarne avec délicatesse le duo d’acteurs Sorcha Groundsell et Percelle Ascott. Certes, on a du mal à croire à la nécessité de leur fuite (ne peuvent-ils pas simplement se voir en cours?), mais ces Roméo et Juliette version protéiforme et leurs déclarations exaltées attendrissent. «Nous voulions explorer ce que ça veut dire d’aimer quelqu’un sans limites et comment, en grandissant, les gens évoluent dans une relation», détaille la coproductrice Hania Elkington.
la sincérité de ces sentiments, tout comme la beauté des paysages nordiques, ne suffit pas à sauver The Innocents. La série souffre d’un réel problème de rythme, avec une intrigue qui patine et l’impression que, tout au long des huit épisodes, tout le monde ne fait que se courir après. Le docteur mystère n’est ni inquiétant ni assez détestable et reste, jusqu’au bout, aussi obscur que les thérapies auxquelles il s’adonne. Quant aux personnages secondaires, du grand frère agoraphobe au bon policier, ils manquent cruellement de relief au point de faire tapisserie. Reste le twist final, étonnamment efficace, qui laisse présager une deuxième saison.
Pour imaginer The Innocents, les producteurs se seraient inspirés des berserkers, guerriers sanguinaires issus de la mythologie scandinave qui se battaient nus sous des peaux de bêtes, jusqu’à se transformer eux-mêmes en animaux sauvages. Il manque à la série cette rage, ce mordant, pour nous embarquer vraiment dans son périple fantastique.