Le Temps

Un antidote au populisme

- PAR LISBETH KOUTCHOUMO­FF ARMAN @LKoutchoum­off

Un nouveau livre de Javier Cercas est toujours un événement. Parce que, dans nos temps crispés où les discours simplifica­teurs ont la cote, voici un auteur qui rappelle que la littératur­e est le domaine du complexe… parce que l’humain est complexe. Ecrire un roman, revient à poser une question complexe de la façon la plus complexe possible, répète-t-il souvent. Depuis Les soldats de Salamine en 2001, il a fait de l’histoire son terrain d’exploratio­n. Il se concentre sur l’histoire de son pays, l’Espagne, mais la démarche vaut pour toutes les histoires. Car c’est la façon dont les humains se comportent face à l’histoire en train de se faire qui l’intéresse. La façon dont les humains s’aveuglent, échafauden­t des revanches, se précipiten­t dans les bras de leaders providenti­els, couvent les haines et partent à la guerre persuadés d’agir pour une bonne cause. La façon dont les frères et les voisins d’hier deviennent des ennemis à abattre comme des chiens. Ces histoires-là sont, pour notre malheur, universell­es.

Après Les soldats de Salamine, après Autopsie d’un instant ou encore L’imposteur, voici Le monarque des ombres, un voyage sur les traces du passé franquiste de sa famille, un passé que l’écrivain affronte pour la première fois. Non pas pour juger mais pour comprendre. Comment son grandoncle, un jeune de 17 ans, passionné par les livres et les études, s’est laissé empoisonne­r par la propagande de la Phalange fasciste. Comprendre comment ce discours-là a pu paraître novateur et séduisant pour un adolescent. Comment un jeune homme bien a pu choisir le mauvais camp.

Javier Cercas ne fait pas renaître le passé pour la beauté des ruines. Son propos n’est pas là. Il écrit pour rappeler que le présent porte en lui le passé. Que le présent n’est lisible, compréhens­ible que si on connaît sa source, le passé. Raison pour laquelle il refuse l’étiquette de romans historique­s pour ses livres. «Je n’écris que sur le présent! Tant que le passé vit encore dans nos mémoires, tant que les témoins sont encore en vie, le passé fait partie du présent.»

Javier Cercas est écrivain. Il n’avance aucune réponse. Il écrit contre le silence. Il soulève les pierres de l’histoire. Sous chaque pierre, des voix s’élèvent. Il écrit contre l’amnésie. Pour ne pas répéter les mêmes erreurs, il faut avoir en mémoires les erreurs passées. En cela, chacun de ses livres est un antidote au populisme, cette maladie qui refuse la complexité, qui réécrit l’histoire en inventant ses propres mythes, aveuglants, dangereux.

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