Le Temps

LE RETOUR DE BAUDELAIRE DANS LE PARIS DU XXIE SIÈCLE

-

Le poète revient en zombi dénoncer les maux du nouveau siècle. Une rêverie gore signée Eric Chauvier

Baudelaire est de retour dans Paris. La forme d’une ville change plus vite hélas! que le coeur d’un mortel, pourrait-il s’étonner à nouveau. Mais des rues où il aimait flâner, il ne garde aucun souvenir. Cent cinquante et un ans après sa mort, le poète revient sous les aspects d’un clochard syphilitiq­ue, morphinoma­ne, amnésique. Aphasique aussi: «Il ne peut que geindre, souffler, cracher et, lorsqu’il entrevoit un peu de ce qu’il fut, derrière les brumes épaisses du passé, hurler.» Dans son cerveau cuit et recuit surnagent des bribes de vers. Ces sons évoquent de très lointaines réminiscen­ces, des bulles qui viennent crever à la surface d’un étang fétide, de vagues lueurs dans la pénombre où grouillent d’innommable­s appétits, des «sensations pâles».

UN «PAUVRE TOTAL» COMME MIROIR

Depuis Anthropolo­gie (Allia, 2006), Eric Chauvier dénonce la société où il vit dans des récits qui oscillent entre la science et la littératur­e. Un fil rouge traverse les huit volumes parus chez Allia: la volonté de briser les images préfabriqu­ées que nous adoptons face à ceux qui sont en décalage avec les standards sociaux en vigueur – mendiants, jeunes en rupture, enfants attardés. Sa démarche passe par une analyse rigoureuse du langage et à travers le filtre, souvent, de l’ironie.

Le revenant, lui, est au-delà de tout langage. Après une vie de souffrance­s d’où est issue une poésie sublime, la «cruelle destinée» de Baudelaire est de revivre «ad nauseam, jeune et décati, maudit parmi les maudits, à l’état de zombi». Objet de mépris ou de pitié, encore plus nauséabond­e, ce «pauvre total» sert, on l’aura compris, de miroir à une société de «l’événementi­el». Horrible vie! Horrible ville! s’exclamait-il devant les ravages de la société industriel­le. Maintenant, il n’a plus que des cris et des pulsions. Ce mort-vivant suscite le dégoût, la haine. On le croit pédophile, il est lynché, mais il survit sous ses cartons, la vermine le «mange de baisers», il ne sent même plus la douleur. Un Walking Dead entraîne les vivants dans la mort. Ici, ce seront des junkies, une petite prostituée «slave», des souteneurs nigérians ou «slaves» également, de ceux qui se situent juste au-dessus de lui dans l’échelle sociale.

Avec Le revenant, Eric Chauvier passe du côté de la littératur­e, dans une rêverie gore mais forcément politique. Un vers de 1855 l’accompagne: «La rue assourdiss­ante autour de moi hurlait.» Baudelaire «annonce ce qui se produira de pire durant les siècles à venir», mais les ignorants sont majoritair­es «qui ne savent pas distinguer les poètes de zombis».

 ??  ?? Genre | Roman Auteur | Eric Chauvier Titre | Le revenant Editeur | Allia Pages | 80
Genre | Roman Auteur | Eric Chauvier Titre | Le revenant Editeur | Allia Pages | 80

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland