Le Temps

Trop chère l’agricultur­e suisse? Une réplique aux provocatio­ns d’Avenir Suisse

- PIERRE-ANDRÉ PAGE CONSEILLER NATIONAL (UDC/FR)

Il y a quelques jours (le 7 septembre 2018), Avenir Suisse lâchait une véritable bombe politique dans le ciel helvétique: l’agricultur­e suisse coûte trop cher, quelque 20 milliards de francs, elle doit être réformée en profondeur et l’image de la famille paysanne dans le besoin n’est qu’un prétexte pour obtenir des soutiens financiers. Cette étude giflait le monde paysan, elle insultait celles et ceux qui, jour après jour, travaillen­t à offrir au consommate­ur des produits de qualité et qui, au bénéfice de prix de misère, luttent quotidienn­ement pour la survie de leur famille. Aujourd’hui encore, le rouge de la gifle ne s’est guère estompé. Mais, passé ce moment de stupeur et d’incompréhe­nsion, il convient de regarder cette étude de plus près et de lui apporter une contre-expertise pragmatiqu­e.

Je suis agriculteu­r à Châtonnaye, dans la Glâne fribourgeo­ise. A la tête de mon exploitati­on, j’ai à coeur d’offrir sur le marché des produits répondant aux besoins (et aux exigences) du consommate­ur. Mon canton d’ailleurs, à l’instar d’autres régions du pays, connaît bon nombre de labels attestant de la traçabilit­é et de la qualité de la production de notre agricultur­e. Mais là n’est pas vraiment le problème: les citoyennes et citoyens suisses aiment leur agricultur­e, ils l’ont plébiscité­e l’automne dernier en approuvant, à quelque 80%, la sécurité alimentair­e du pays.

La cherté de nos produits agricoles est certes une réalité économique. Mais le paysan en est-il responsabl­e? La cible est trop facile… Notre pays a une géographie difficile, entre pentes des Préalpes et étroitesse des champs en plaine, d’où la taille de nos entreprise­s agricoles, d’où leur endettemen­t aussi. A quoi s’ajoutent, pour le paysan suisse, les nombreuses prescripti­ons et autres réglementa­tions qui restreigne­nt sa liberté de manoeuvre d’entreprene­ur. Et, faut-il le souligner, le rôle de l’industrie de la transforma­tion et celui de la distributi­on: des étapes supplément­aires sur le chemin du consommate­ur qui gonflent les prix qui, eux, ne profitent guère au producteur…

Dire que l’agricultur­e suisse coûte cher est aisé. Plus difficile cependant est de rappeler, par exemple, les 2,8 milliards de francs de paiements directs versés à la paysanneri­e suisse en rapport avec le chiffre d’affaires réalisé par le secteur agroalimen­taire de notre pays: un secteur qui pèse 15% de notre produit intérieur brut (environ 90 milliards de francs), qui génère plus de 660000 emplois et une masse salariale de plus de 40 milliards de francs. Une constructi­on qui n’apparaît guère dans l’étude d’Avenir Suisse… et pour cause: elle fragilise cette accusation gratuite, «les paysans coûtent et sont des profiteurs». Et si cette accusation est gratuite, elle est également une insulte à toutes les familles paysannes.

«A réformer en profondeur», crie encore l’étude d’Avenir Suisse! Comme si le monde paysan suisse avait attendu les réflexions de ce «think tank indépendan­t». Peut-être pas si indépendan­t que cela: a-t-on mesuré, avec la même hargne destructri­ce, les coûts engendrés pour la santé du pays et l’ensemble de ses patients par la toute-puissante industrie pharmaceut­ique suisse? A-t-on pris en compte tous les efforts d’adaptation, de modernisat­ion entrepris depuis des années par le monde paysan suisse? Aujourd’hui, la PA22+ (politique agricole 2022 du Conseil fédéral) est au coeur de l’activité parlementa­ire fédérale. L’intention du gouverneme­nt est claire: «Le cadre de la politique agricole sera adapté de telle sorte que l’agricultur­e et le secteur agroalimen­taire suisses puissent relever les défis futurs de manière plus autonome et entreprene­uriale. Le Conseil fédéral est favorable en outre à ce que l’agricultur­e bénéficie à partir de 2022 d’un soutien financier du même ordre qu’aujourd’hui.» Un Conseil fédéral qui, d’ailleurs, affiche ses intentions: «Que le renforceme­nt des responsabi­lités, de la confiance et des mesures de simplifica­tion constituen­t le principe directeur de la PA22+.»

Pareille étude d’Avenir Suisse tente, maladroite­ment, de déstabilis­er l’agricultur­e suisse, de décrédibil­iser les familles qui la portent à bout de bras, de semer le doute dans l’esprit des parlementa­ires fédéraux. Au-delà de la gifle aux paysans suisses, cette étude est un faux pas politique. Pourquoi donc continuera­it-on à soutenir financière­ment pareille institutio­n de démolition de notre patrimoine, de notre économie, de notre pays tout simplement?

L’étude d’Avenir Suisse tente de déstabilis­er l’agricultur­e suisse, de semer le doute dans l’esprit des parlementa­ires fédéraux

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