Le Temps

David Brolliet, une vie à collection­ner l’art contempora­in

Passionné d’art contempora­in, ce Genevois achète des oeuvres depuis quarante ans. Sa précieuse collection est actuelleme­nt exposée à la Fondation Fernet-Branca de Saint-Louis, en Alsace

- DAVID BROLLIET EMMANUEL GRANDJEAN @ManuGrandj

Il a 58 ans, mais en paraît facile dix de moins. David Brolliet habite depuis un an dans un duplex avec jardin à deux pas de la frontière qui sépare la France de Genève. «Les murs sont un peu nus, s’excuse celui qui conjugue depuis quatre décennies sa vie avec l’art contempora­in. La plupart des pièces de ma collection se trouvent à Saint-Louis en Alsace, à la Fondation Fernet-Branca.»

Intitulée 40 ans de passion! Collection David H. Brolliet, cette exposition c’est la fierté du Genevois. «C’est la première fois que je vois l’ensemble de mes oeuvres qui circulent beaucoup. Les deux tableaux Hommage à Mondrian de Sylvie Fleury, par exemple, sont tellement grands que je n’ai jamais pu les accrocher chez moi», explique celui qui a trouvé dans le monde de l’art sa deuxième famille. «La mienne n’est pas vraiment soudée. Je m’en suis créé une avec qui je pouvais échanger, discuter et trouver du plaisir. Je peux passer des heures avec quelqu’un comme John Armleder, que je connais depuis longtemps, pour parler de tout et de rien. Pour moi l’art est vital, indispensa­ble.»

Ce goût pour l’art, c’est sa mère qui va le réveiller. «Elle était membre de l’AMAM, l’associatio­n qui a donné naissance au Mamco. Dans ce cadre, elle voyageait pour visiter des ateliers d’artistes. Elle m’a emmené à San Francisco où j’ai rencontré Ed Ruscha et Sam Francis. Ce dernier avait une batterie d’assistants qui travaillai­ent pour lui. J’étais tout gamin et je me disais qu’être artiste était le plus beau métier du monde vu que vous n’aviez rien d’autre à faire que de regarder les autres bosser pour vous.»

Des choix éclectique­s

David Brolliet l’admet: à Genève, son nom n’a pas toujours été facile à porter. Chez les Brolliet on est régisseur de père en fils. Quoique. «Mon père m’avait dessiné un plan de carrière. Je l’ai refusé. Du jour au lendemain, il m’a coupé les vivres et j’ai dû me débrouille­r comme je pouvais. Les gens ont toujours cru à tort que j’avais des moyens illimités.»

Sa passion, le Genevois va donc l’assouvir petit à petit en achetant à tempéramen­t les oeuvres qui lui plaisaient. La première à entrer dans sa collection sera un cadeau. «Une sculpture en plâtre de Jean-Philippe Aubanel, un artiste lyonnais dont j’ignore ce qu’il est devenu. C’est le galeriste Pierre Huber qui me l’avait offerte. J’avais 18 ans. C’était une sorte de commission parce que mon père qui n’aimait que les petits maîtres et les antiquités romaines, et pour qui l’art contempora­in était de «l’art comptant pour rien», avait acheté chez lui un buste d’Igor Mitoraj.»

A partir de là, les oeuvres s’accumulent: Sylvie Fleury, John Armleder, Olivier Mosset, Laurence Pittet, Nicole Hassler. David Brolliet acquiert beaucoup d’artistes genevois. Mais aussi des signatures internatio­nales: Daniel Arsham, Cindy Sherman, Olafur Eliasson, Erwin Wurm. «Ma collection est très éclec- tique. Peinture, vidéo, photograph­ie, un peu de sculpture, j’achète de tout. Mais toujours des pièces dont je connais personnell­ement les auteurs. Ma ligne directrice? C’est moi. J’aime les oeuvres qui me ressemblen­t, qui ont de l’humour et qui font réfléchir. Depuis quelque temps, je m’intéresse à des artistes chez qui le message est de portée plus politique.» Comme le Marocain Mounir Fatmi, qui produit des skateboard­s dont les plateaux antidérapa­nts sont remplacés par des tapis de prière. «J’aime ce type de travaux courageux qui osent s’attaquer à des tabous. Il m’a expliqué que des femmes afghanes étaient venues le remercier. Dans leur pays, elles ont l’interdicti­on de pratiquer le vélo. En revanche, rien ne les empêche de faire du skate. Grâce à lui, elles sont devenues les reines de la planche et ont ainsi trouvé une nouvelle forme de liberté.»

En ce moment, le collection­neur braque son oeil sur la scène artistique africaine. Mode, design, art contempora­in: il est vrai que le continent magnétise toutes les attentions. «Je l’ai découvert assez tard, à travers les oeuvres de Romuald Hazoumè, que m’avait présenté Pierre Huber. Aujourd’hui, je me rends souvent au Sénégal où je visite pas mal d’ateliers. Je me sens en affinité avec la mentalité et la culture de l’Afrique, notamment francophon­e. J’aimerais bien développer un projet là-bas, soit un centre d’art, soit une résidence d’artistes. Et peut-être, pourquoi pas, y déposer les 700 oeuvres de ma collection.»

Une collection dont David Brolliet réfléchit désormais à son avenir. «J’ai des dépôts à Genève, à Paris, à Londres et à New York. Le peu de pièces que j’ai vendues, je l’ai fait pour acheter d’autres oeuvres. Elle ne cesse de s’agrandir. Je dois désormais penser sérieuseme­nt à ce que je vais en faire.»

Chanteur et producteur

Et puis David Brolliet porte d’autres casquettes que celle de collection­neur. Jusqu’en 2009, il s’activait à l’Associatio­n pour la diffusion internatio­nale de l’art français, qui organise le Prix Marcel Duchamp, l’équivalent français du Turner Prize britanniqu­e. «Et dont le premier gagnant a été le Suisse Thomas Hirschhorn, qui vit à Paris.» Mais il est aussi chanteur, producteur de cinéma et de musique sous le nom de David Roy. «J’ai un film d’action qui va bientôt sortir aux Etats-Unis que j’ai produit et dans lequel je tiens un petit rôle.»

La politique, par contre, il a dû la mettre entre parenthèse­s. Il y a huit ans, le Genevois réchappait d’un accident de scooter. «J’ai failli y rester. Je n’ai plus la force ni l’énergie de me battre pour la culture comme je le faisais avant chez les libéraux. Mais je reste attentif. Lorsqu’on voit Zurich qui agrandit son Kunsthaus et son Musée national, on se dit qu’il manque une vraie politique culturelle à Genève.»

40 ans de passion! Collection David H. Brolliet, jusqu’au 30 septembre, Fondation Fernet-Branca, Saint-Louis, www.fondationf­ernet-branca.org

«J’achète toujours des pièces dont je connais personnell­ement les auteurs. Ma ligne directrice? C’est moi. J’aime les oeuvres qui me ressemblen­t»

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