Le Temps

Se passer de labour sans recourir aux herbicides, un défi agronomiqu­e

- ALIZÉE GUILHEM

Se passer de labour pour protéger les sols séduit les agriculteu­rs, mais la pratique exige un recours aux herbicides incompatib­le avec le bio. Des agronomes suisses ont présenté des techniques pour concilier les deux contrainte­s

Qui veut travailler ses terres agricoles en respectant la nature est confronté à un dilemme. Car lorsqu'ils se passent de labour afin de respecter la richesse et la fertilité des sols, les agriculteu­rs ont recours aux herbicides pour préparer la terre avant semis, une pratique éprouvée et efficace. Comment dès lors concilier respect du sol et non-recours aux produits phytosanit­aires? Ce défi agronomiqu­e est à l'étude en terres vaudoises, dans le cadre d'une expériment­ation menée par l'Institut de recherche de l'agricultur­e biologique FiBL dans l'exploitati­on familiale de Damien Poget à Senarclens.

Une interventi­on limitée aux 10 premiers centimètre­s

Et cela semble fonctionne­r. «Regardez autour de vous, c'est tout vert, se réjouit Maurice Clerc, agronome au FiBL à Lausanne. Le travail du sol n'est pas à diaboliser. D'autant plus si l'on fait le choix de renoncer aux herbicides.» L'exploitati­on de la famille Poget est en conversion au bio depuis deux ans et on y applique des méthodes de l'«agricultur­e de conservati­on», appellatio­n regroupant des techniques culturales développée­s dans un objectif: favoriser la vie dans le sol, en particulie­r par la formation d'humus en surface, ce qui permet de le rendre plus fertile et donc d'avoir moins recours aux intrants.

Le FiBL a organisé fin août une rencontre sur l'exploitati­on afin de présenter les techniques agricoles conciliant agricultur­e de conservati­on et agricultur­e biologique. L'événement a réuni quelque 400 personnes, des agriculteu­rs, conseiller­s ou formateurs agricoles engagés dans le bio ou non, mais tous curieux et friands d'échanges avec leurs confrères.

«Un dénominate­ur commun relie les participan­ts: ce sont des amoureux du sol. Les agriculteu­rs sont des chercheurs, ils aiment parler de leurs expérience­s», note Maurice Clerc. Cette année, l'événement était coorganisé par l'Associatio­n suisse pour une agricultur­e respectueu­se du sol Swiss No-Till et par plusieurs partenaire­s, tels que BioVaud, le FiBL ou encore Prométerre, associatio­n vaudoise de défense des métiers de la terre.

«Les agriculteu­rs sont des chercheurs, ils aiment parler de leurs expérience­s» MAURICE CLERC, AGRONOME À L’INSTITUT DE RECHERCHE DE L’AGRICULTUR­E BIOLOGIQUE FIBL

Dans une volonté de répondre à ce double enjeu – protection des sols et zéro herbicide –, l'idée est de n'intervenir que dans les dix premiers centimètre­s du sol et le moins souvent possible. Les agriculteu­rs sont alors confrontés à deux difficulté­s principale­s: rendre le sol réceptif aux semis et maîtriser la concurrenc­e par les plantes adventices – ces «mauvaises herbes» qui poussent spontanéme­nt et peuvent entrer en compétitio­n avec les plantes cultivées.

L’usage de semis de couverts végétaux

Le point de départ de cette démarche est de bien connaître ses sols et de savoir en apprécier la qualité. Pour ce faire, des techniques à portée de tous ont été développée­s: les deux principale­s, qui peuvent être mises en oeuvre par les agriculteu­rs eux-mêmes et qui sont aujourd'hui reconnues à l'échelle internatio­nale, consistent à observer la dégradatio­n de deux objets enfouis dans le sol, un slip 100% coton ou un sachet de thé (au choix). Le degré de dégradatio­n de la matière organique – le coton ou le thé – permet de mesurer l'activité des bactéries et de la microfaune du sol.

Pour favoriser cette activité dans le sol, les pratiques culturales présentées à Senarclens s'appuient sur l'utilisatio­n des tracteurs à bon escient. Mais surtout, elles misent sur le semis de couverts végétaux. Ces derniers sont composés de plantes de la famille des fabacées, qui recouvrent le sol après récolte et empêchent ainsi le développem­ent des mauvaises herbes. Ils sont ensuite détruits avant la récolte suivante, soit mécaniquem­ent, soit par le biais du gel durant l'hiver.

Ces couverts végétaux ont encore d'autres avantages: ils participen­t également à la fabricatio­n de biomasse qui sera incorporée au sol et sera à l'origine de la présence d'humus en surface. Enfin, ce sont des «engrais verts» de par leur faculté à fixer l'azote, cet élément limitant de la croissance des plantes cultivées, qu'elles extraient de l'air et restituent au sol.

Enfin, des plantes comme le trèfle, qui peut couvrir les champs de blé après la moisson, offrent du nectar pour les abeilles et autres insectes butineurs à une période où il ne reste plus beaucoup de fleurs disponible­s. Une démonstrat­ion de machines et la présentati­on d'essais d'alliance de plantes ont permis de visualiser les différente­s alternativ­es. «Ces techniques représente­nt un grand potentiel, mais elles ont aussi des limites, en particulie­r lors de printemps très humides, commente Maurice Clerc. Il faut être prêt à adapter sa stratégie en permanence.»

 ?? (MARION CASAGRANDE) ?? La dégradatio­n du coton permet de mesurer l’activité des bactéries et de la microfaune.
(MARION CASAGRANDE) La dégradatio­n du coton permet de mesurer l’activité des bactéries et de la microfaune.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland