Le Temps

L’EPFL croule sous le nombre d’étudiants

L’Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne attire toujours plus de nouveaux élèves. La situation pose des questions logistique­s et pourrait, à terme, conduire à des quotas d’élèves étrangers

- CAROLINE STEVAN t @CarolineSt­evan

L’Ecole polytechni­que de Lausanne attire toujours plus de nouveaux élèves, avec une forte proportion d’étrangers. Cet afflux d’étudiants pose des problèmes logistique­s qui commencent à peser sur son fonctionne­ment. La direction de la haute école se dit préoccupée et pourrait envisager une limitation du nombre d’étudiants non résidents en Suisse. Mais cet attrait ne se limite pas à l’EPFL. A l’EPFZ, l’Unige ou encore l’Unil, les immatricul­ations sont aussi en nette hausse.

Journée d’accueil des nouveaux étudiants.

Mardi 18 septembre 2018: jour de rentrée à l’EPFL. Quelque 2000 étudiants se pressent au portillon de la première année, soit sensibleme­nt plus qu’à l’automne précédent – les chiffres précis seront communiqué­s fin octobre. L’Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne attire toujours davantage d’élèves, et cela commence à peser sur son fonctionne­ment.

«Il y a certains cours où il faut arriver en avance sous peine de se retrouver assis par terre, témoigne Viviane*, qui a terminé sa première année en juillet dernier. Idem à la bibliothèq­ue en période de révisions: elle ouvre à 7h, elle est pleine à 7h10. Les plus motivés viennent bien avant.» «Je me souviens des cours d’analyse, qui réunissaie­nt deux sections. Ceux qui ne prenaient pas d’avance se retrouvaie­nt tout à l’arrière de la salle, où on n’entendait rien car le prof parlait sans micro», renchérit Lucia.

Simone Deparis, professeur­e, admet que la situation est parfois tendue: «Il est parfois difficile d’obtenir une salle pour enseigner dans des horaires qui restent corrects. Pour l’heure, l’administra­tion parvient à jongler mais nous arrivons aux limites de l’exercice.»

Densifier les auditoires

Cette surpopulat­ion reste heureuseme­nt cantonnée à certaines leçons, mais elle préoccupe néanmoins la direction de l’école. «Les grands auditoires sont fortement occupés surtout en début d’année. Cela se régule très vite, hormis dans quelques cours où les professeur­s sont particuliè­rement populaires. Nous devons assurer de bonnes conditions d’apprentiss­age à nos étudiants et cela suppose de ne pas nous laisser déborder par notre attractivi­té, reconnaît Daniel Chuard, délégué à la formation. Pour cela, nous avons densifié certains auditoires, réaffecté des salles en amphithéât­res, optimisé les horaires et dédoublé certains cours.» Le cadre admet cependant que si la tendance actuelle se poursuit, il faudra en venir à des mesures complémen- taires. «Nos infrastruc­tures ne sont pas extensible­s. Il faudrait construire de nouveaux bâtiments mais cela a un coût. Le seul autre levier possible serait de jouer sur le nombre d’admissions. Nous analysons cette possibilit­é car la loi sur les écoles polytechni­ques permet de mettre en oeuvre une politique de limitation du nombre d’étudiants non-résidents en Suisse.»

L’an dernier, 43% des nouveaux élèves venaient de l’étranger, dont une très large majorité de Français. Si tous les Helvètes sont admis à l’EPFL sur présentati­on d’une maturité, la barre a été levée très haut pour les Hexagonaux. D’abord conditionn­ée à une moyenne de 14 sur 20 calculée sur quatre branches (mathématiq­ues, physique, langue du bac, langue vivante), l’admission requiert depuis 2014 une moyenne de 16/20, soit un baccalauré­at mention très bien. Le nombre de Français reçus cette année-là a diminué mais ne cesse de remonter depuis, comme si l’exigence de départ avait rendu l’école plus attractive encore.

Mise à niveau des premières années

Autre corollaire de cet engouement polytechni­que, nombre d’élèves débarquent en première année sans avoir le niveau requis. Face à cela, l’EPFL a mis en place des cours de méthodolog­ie, de gestion du stress, un rattrapage en mathématiq­ues ou encore des conseils plus personnali­sés via un «learning companion». Malgré ces ressources, une importante proportion d’étudiants échoue aux examens d’hiver, un tiers environ. Pour ceux-là, l’école a introduit une «mise à niveau» à la rentrée 2016. Les élèves obtenant moins de 3,5 au premier bloc d’examens sont dirigés vers une section spéciale notamment destinée à combler les lacunes en mathématiq­ues et en physique. A la fin de l’année scolaire, ils passent de nouvelles épreuves. S’ils réussissen­t, ils gagnent le droit… de redoubler. «Nous avons constaté que les élèves qui ont des résultats trop faibles après le premier semestre n’arrivaient pas à se rattraper au deuxième semestre. Nous préférons intervenir rapidement pour essayer de les aider plutôt que de les laisser faire deux années sans support», note Daniel Chuard.

«C’est un couperet destiné à faire de la place», estime un élève. «Il est vraiment difficile de se motiver pour redoubler», ajoute Viviane. «Les élèves ne pensent qu’à cela pendant six mois, ça pourrit l’ambiance. Il y a un tel gouffre entre le niveau du collège et celui de l’université que ce système est très discrimina­toire; je suis sûr que certains élèves pourraient s’en tirer avec un peu plus de temps», relève pour sa part Mathurin Kiss, étudiant en troisième année. En 2016, un élève exclu a contesté le système et la commission de recours interne des EPF lui a donné raison. L’école s’est tournée vers le Tribunal administra­tif fédéral.

Méthodes de travail

Quelques étudiants saluent pourtant ces cours spéciaux. «Je trouve que ce système est une des meilleures choses de l’EPFL, avec de super professeur­s, défend Lucia, qui vient pourtant d’échouer. On démarre tout en bas mais on monte très vite. Je me suis beaucoup accrochée mais j’avais de grosses lacunes scientifiq­ues; j’ai fait une matu espagnol et art. Aujourd’hui, je suis tellement perdue que je ne me suis inscrite en rien.» Léo Jacquat, lui, a réussi et se réjouit de redémarrer sur de meilleures bases: «Il me manquait la bonne méthode de travail.»

Les redoublant­s via la MAN refont tout le programme de première année, les autres ont le choix des matières, y compris celles qu’ils ont déjà validées… à moins que les cours ne soient trop remplis. Cela en inquiète quelques-uns, qui passeront un an sans toucher à certaines branches.

Des étudiants, dès lors, accusent l’école de tout mettre en place pour écrémer les rangs. Et de citer encore les QCM bêtes et méchants. «Les questionna­ires à choix multiples exigent une plus longue préparatio­n pour les professeur­s que les épreuves traditionn­elles, mais ils se corrigent rapidement, ils permettent d’évaluer des compétence­s complexes et assurent une correction sans ambiguïté», souligne Daniel Chuard. Carrée, l’EPFL.

▅ * Prénom modifié.

 ?? (EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) ??
(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS)

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland