Alexandre Benalla, retour sur une dérive
L’ex-garde du corps d’Emmanuel Macron est auditionné ce mercredi matin par la commission d’enquête du Sénat français. Depuis son licenciement par l’Elysée, fin juillet, son itinéraire et ses faux pas ont pu être reconstitués
Son ultime fait d’armes aura consisté à préparer la commercialisation des goodies de l’Elysée. Selon les médias français, Alexandre Benalla s’était vu confier, après sa mise à pied de quinze jours, «la responsabilité de la boutique en ligne» via laquelle les amateurs de mugs, de t-shirts et de montres siglés «Présidence de la République» peuvent depuis quelques jours acheter ces souvenirs à distance. Une mission bien éloignée de celle qu’il avait remplie jusqu’à son intervention musclée en marge du défilé syndical du 1er mai: accompagner Emmanuel Macron dans la plupart de ses déplacements, sorte d’interface entre le chef de l’Etat et les policiers et gendarmes chargés d’assurer sa protection.
Une grande ambition
Cette anecdote n’a guère d’importance au vu des charges qui pèsent aujourd’hui contre ce jeune homme de 27 ans, licencié à la fin juillet après la révélation par Le Monde d’une vidéo le montrant en train de ceinturer un manifestant place de la Contrescarpe, devant les CRS qu’il était censé observer. Le 22 juillet, Alexandre Benalla a été mis en examen pour «violences volontaires en réunion», «immixtion dans l’exercice d’une fonction publique», «port public et sans droit d’insignes réglementés», «recel de détournement d’images issues d’un système de vidéoprotection». Son collègue plus âgé Vincent Crase, 40 ans, réserviste de la gendarmerie comme lui et collaborateur du palais présidentiel, a également été mis en examen. L’un et l’autre se succéderont ce mercredi devant la commission d’enquête du Sénat, boycottée par les sénateurs de LREM, le parti présidentiel. A 8h30 pour Alexandre Benalla, qui avait initialement refusé la convocation. A 10h pour Vincent Crase.
Les sénateurs, qui devront éviter d’interférer avec la procédure judiciaire en cours, se focaliseront certainement sur l’itinéraire de l’ancien garde du corps, récemment vu en train de protéger une vedette de la téléréalité, Ayem Nour, révélée par l’émission Secret Story. Or ces deux derniers mois ont permis de beaucoup en apprendre sur son parcours et sur la réaction de l’Elysée après l’incident du 1er mai.
Premier élément: sa forte personnalité. Entré à 20 ans dans la sécurité via le service d’ordre du Parti socialiste, le jeune homme d’origine marocaine (né en France en 1991) ne cachait ni son ambition ni sa volonté de s’imposer. Il l’avait prouvé en faisant changer son prénom lors de son adolescence, de Marouane en Alexandre, puis en s’opposant, semble-t-il, à son père violent. Son arrivée dans l’équipe du candidat Macron, en partie composée d’anciens élus du PS – dont le nouveau président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand – n’est dès lors pas surprenante.
Un mystérieux manifestant
«L’opportunité était belle. Macron et lui se sont rencontrés lorsque le premier était ministre de l’Economie. Alexandre aime l’aventure», explique un ancien «gros bras» socialiste. A Bercy, le QG parisien du ministère, l’intéressé côtoie Alexis Kohler, alors directeur de cabinet du ministre et aujourd’hui secrétaire général de la présidence. Il tiendra d’ailleurs tête au haut fonctionnaire en mai, lors de sa mise à pied qu’il a affirmé, lors de sa garde à vue de 36 heures, «ne pas avoir comprise». Alexandre Benalla prétend en effet avoir immédiatement prévenu Alexis Kohler de l’existence d’une vidéo via la messagerie Telegram. «J’ai précisé que, sortie de son contexte, cette scène peut paraître violente», a-t-il répété aux enquêteurs.
Deuxième révélation: plusieurs pans de l’affaire restent à élucider. L’identité du manifestant ceinturé d’abord: il s’agirait d’un jeune Grec résidant à Paris, qui s’est constitué partie civile. Son avocat nie son appartenance aux Black Blocs, ces extrémistes anarchistes qui avaient dévasté deux heures plus tôt les environs de la gare d’Austerlitz. Mais d’autres témoignages alimentent le doute des policiers qui cherchent du côté des factions violentes d’étudiants à Athènes. Le fait est, aussi, qu’une vidéo montre que les CRS ont été pris à partie et ont reçu des projectiles.
Autre mystère: celui de la compagne d’Alexandre Benalla – ils devaient se marier quelques jours après les révélations du Monde – qui aurait dissimulé le contenu du coffre-fort à leur domicile… aux policiers venus perquisitionner le 19 juillet. Mieux: l’ex-garde du corps aurait refusé de donner aux enquêteurs ses coordonnées. De quoi alimenter la thèse d’une dissimulation orchestrée, la jeune femme servant en quelque sorte d’alibi. Elle n’a d’ailleurs toujours pas été entendue.
Son concubin, pris le 1er mai en flagrant délit de jouer au policier sans faire partie des forces de l’ordre, aurait donc bénéficié d’aide pour couvrir ses traces. Ce qui accréditerait l’idée d’une guerre intestine à l’Elysée, et d’un règlement de comptes entre gardes du corps officieux et officiels.
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