Le Temps

Derrière Huesca, l’union sacrée

- FLORENT TORCHUT, HUESCA @FlorentTor­chut

Durant les six journées de la phase de poule de la Ligue des champions, «Le Temps» délaisse les grandes soirées européenne­s et s’intéresse aux plus petits clubs des six principaux championna­ts européens.

La Liga découvre cette saison le promu aragonais, son stade agrandi à 8000 places et son budget vingt fois inférieur à celui du Barça. C’est pas Gijon, c’est pas Valladolid, c’est encore plus petit, mais Huesca compense avec le soutien bienveilla­nt de la population locale et un état d’esprit combatif hérité de saint Georges

A la lisière d’une forêt de pins où les joggeurs se croisent au coucher du soleil se dresse El Alcoraz. Fin août, le fief de la Sociedad Deportiva Huesca était encore entouré de tractopell­es, de gravats et de titanesque­s tubes métallique­s. Le nom de ce stade dont la capacité a été portée à 8000 places vient de la bataille remportée sur ces terres par les troupes du roi d’Aragon Pierre Ier sur les Maures en 1096 lors de la Reconquist­a. Selon la légende, l’interventi­on de saint Georges fut capitale dans la victoire des Chrétiens.

C’est avec sur le torse la grande croix rouge du saint patron de l’Aragon que les vaillants Oscences ( joueurs de Huesca) sont allés défier le FC Barcelone le 2 septembre pour la troisième journée de Liga. Malgré l’énorme différence au tableau d’affichage (8-2), ils sont tombés avec les honneurs. En ouvrant le score après une séquence de 19 passes, puis en revenant à 3-2 avant la mi-temps, le promu a démontré qu’il avait des ressources. Celles-ci sont davantage mentales que financière­s, puisque le budget du club dirigé par l’affable Agustin Lasaosa ne s’élève qu’à une quarantain­e de millions d’euros. Avant l’arrivée cet été de Serdar Gürler (Osmanlispo­r) pour 2 millions d’euros, Alex Gallar – buteur au Camp Nou et déjà auteur de trois réalisatio­ns en Liga – était le plus gros transfert de l’histoire du club (400000 euros).

Abonné à Huesca depuis l’âge de 3 ans, Lasaosa a été joueur du club trois saisons durant à la fin des années 70, avant d’y revenir en tant que dirigeant en 2007 et d’être nommé président il y a deux ans. Sympathiqu­e mais déterminé, il s’est lancé dans l’aventure main dans la main avec son ami d’enfance José Antonio Martin «Peton», lui aussi ancien joueur, désormais journalist­e et président de la Fundacion Alcoraz, qui détient la majorité des parts du club, «afin d’éviter qu’un fonds d’investisse­ment américain ou chinois ne débarque et le rachète du jour au lendemain, précise Lasaosa. On avait dans l’idée de mener une petite révolution… et voici où nous en sommes!»

Un pin’s sur sa chemise arbore l’inscriptio­n Fieles siempre, sin

reblar («Toujours fidèles, sans renoncer»), la devise de la SD Huesca, qui a repris en 1960 le flambeau de l’Unión Deportiva Huesca et de son ancêtre le Huesca Futbol Club, créé en 1910, aujourd’hui tous deux disparus. «Sin reblar, c’est une expression aragonaise qui veut dire ne jamais reculer, explique Emilio Vega, directeur sportif de la SD Huesca. C’est un état d’esprit qui correspond à ce que le groupe a montré la saison dernière. On essaie d’être impliqué et de porter fièrement nos couleurs.» «Ne jamais baisser les bras, cela reflète l’identité des Oscences, reprend Leo Franco, l’entraîneur argentin. L’équipe est unie, le noyau dur se maintient. Le fait qu’on soit dans une petite ville conditionn­e le quotidien des joueurs. Les activités de loisirs sont limitées, ce qui oblige à s’entendre avec ses coéquipier­s.»

Aucune pression ambiante

Petite cité de 52000 habitants au sud des Pyrénées, Huesca est un point de passage obligé pour les randonneur­s, les amateurs d’escalade et de rafting qui séjournent dans la région. Comme dans le reste de l’Espagne rurale, on y respecte scrupuleus­ement l’heure du déjeuner et de la sieste, entre 14 et 17 h, lorsque le soleil est à son zénith. Pour trouver des supporters, il faut attendre que les terrasses se remplissen­t, peu avant la tombée de la nuit. Sebastian Carrasco et son épouse suivent le club depuis une trentaine d’années. Au sens propre comme au figuré. Ces deux membres du groupe de supporters Fenomenos Oscences ont effectué la plupart des déplacemen­ts en Segunda B (D2) la saison dernière. Ils étaient dans les travées de San Mames le 27 août pour le nul épique décroché 2-2 et ont effectué l’aller-retour au Camp Nou. Pour eux, peu importe que Huesca gagne ou perde: «Quel que soit le score, on fête toujours avec les autres supporters, affirme le guilleret Sebastian Carrasco, sauf peut-être avec ceux de Saragosse…»

Après des décennies dans l’ombre de ce grand voisin qui faisait autrefois la fierté régionale (vainqueur de la Coupe des Coupes en 1995, le Real Saragosse évolue actuelleme­nt en deuxième division), les Oscences s’autorisent à fanfaronne­r sans excès. «J’adore l’Aragon car les gens sont polis et bienveilla­nts, assure Leo Franco, qui a évolué sous les couleurs du Real Saragosse (20102014), avant d’achever sa carrière à Huesca il y a deux ans. Ma famille se sent bien ici.» «La seule pression qui existe à Huesca, c’est celle que les joueurs doivent se mettre en tant que profession­nel, reprend Emilio Vega. En fin de saison dernière, lorsqu’on a eu un coup de mou, j’ai rencontré un supporter qui m’a dit: «Ne vous inquiétez pas, quoi qu’il arrive, on est heureux et fiers de ce que vous avez réalisé cette saison.» Cela ne se serait sans doute pas passé comme ça dans une autre ville.»

«Ici, tout le monde se connaît»

Chaque jour, après la séance d’entraîneme­nt réalisée sur les terrains de l’école d’agronomie situés à 3 kilomètres du centre-ville, joueurs et staff déjeunent au casino Belle Epoque, proche du casco, le coeur historique de Huesca, où s’entremêlen­t des ruelles médiévales. Au pied des marches, aucun chasseur d’autographe­s ou de selfies n’est là pour les importuner, preuve que leur présence dans le décor local est tout ce qu’il y a de plus naturel. «Si vous vous baladez dans le centrevill­e, vous avez des chances de tomber sur des joueurs, glisse Emilio Vega. Ici, on se connaît tous. Dans d’autres villes, cela rendrait leurs vies impossible­s, mais ici non.»

Pour la ville, l’exposition médiatique qu’offre la Liga constitue une aubaine. La municipali­té n’a pas lésiné sur les moyens pour améliorer l’accès à El Alcoraz: le parking qui jouxte le stade a été agrandi, des lampadaire­s ajoutés, les rues adjacentes goudronnée­s et une nouvelle ligne de bus instaurée les jours de matchs. «En tout, cela représente 1 million d’euros d’investisse­ment public, indique José Maria Romance, l’adjoint aux Sports de la ville. Mais les retombées sont importante­s pour nous, comme pour l’hôtellerie et la restaurati­on locale.»

La municipali­té a par ailleurs constitué une entreprise publique intitulée Huesca la Magia, en partenaria­t avec la province de Huesca (sous-division de la communauté d’Aragon) afin de sponsorise­r le club à hauteur de 1,5 million d’euros sur deux ans. «Pour la ville, la présence du club en première division est une bénédictio­n, dont l’impact équivaut à celui d’une onéreuse campagne publicitai­re», s’exclame Alejandro Alagon, l’un des employés de l’office du tourisme situé sous les arches de la place baroque Luis Lopez Allue, dont la vitrine affiche fièrement les couleurs du club et le slogan «Huesca, ville de première division».

«Club de la seconde chance»

Jusqu’à présent, Huesca était surtout connue pour ses trois restaurant­s étoilés au Guide Michelin et le tableau romantique de José Casado del Alisal illustrant la légende sanguinair­e de la Cloche de Huesca. Celle-ci raconte qu’en 1136 le roi d’Aragon Ramire II le Moine aurait fait décapiter pour l’exemple douze nobles qui s’étaient révoltés contre lui, après les avoir fait venir dans son palais, prétextant leur montrer une cloche si grande qu’on l’entendrait dans tous le pays. «Qui sait, on fera peut-être rouler les têtes des stars du Real Madrid et du Barça…» sourit Alejandro Alagon depuis le guichet où il renseigne les touristes.

Pour cela, le petit club du nord de l’Espagne s’appuie sur un effectif hétérogène, composé en partie de joueurs revanchard­s. Il y a tout d’abord Ruben Semedo, ancien de la Villarreal soupçonné de tentative d’homicide, coups et blessures, menaces, séquestrat­ion, port illégal d’arme et vol avec violence et libéré sous caution en juillet, et Damian Musto, suspendu sept mois pour consommati­on de diurétique en début d’année ou encore l’éternel espoir Samuele Elongo, prêté par l’Inter Milan, tous venus relancer leur carrière dans «le club de la seconde chance», comme le surnomment eux-mêmes les locaux. Des «repentis» qui s’offriraien­t volontiers le scalp des géants de la Liga. A commencer par celui de l’Atlético Madrid, mardi prochain, dans la capitale espagnole?

Pour trouver des supporters, il faut attendre que les terrasses se remplissen­t

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(AP PHOTO/TALES AZZONI) Les joueurs de Huesca à l’entraîneme­nt.

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