Helvetiq, success-story ludique
La maison d’édition de jeux fête ses 10 ans, alors que le jeu de société effectue son grand retour. Récit d’une longue aventure qui commence avec une histoire de naturalisation
Il est un moment où l’on ne sait plus si une entreprise ressemble à son fondateur ou si le fondateur se conforme à l’image que l’on a de son entreprise. Rendez-vous avait été pris pour un entretien dans les locaux d’Helvetiq, au Flon lausannois. Hadi Barkat a finalement proposé «une rando bière, un petit trail en montagne et quelques parties de jeu». La maison d’édition publie des Randos bière depuis fin 2014, a sorti Courir les montagnes suisses ce printemps et conçoit des jeux de société depuis une décennie. Helvetiq fête ses dix ans, en ce début septembre.
L’aventure, connue, démarre alors qu’Hadi Barkat, d’origine algérienne, est en procédure de naturalisation en Suisse. L’ingénieur, préférant apprendre en s’amusant, imagine Helvetiq, un quiz sur le mode «Qui voulait emprisonner Guillaume Tell?» ou «Quelle est l’origine du mot Victorinox?». Les 3000 premières boîtes, financées par ses économies, sont vendues en un mois. Depuis, Helvetiq, devenu le nom de la société, en a écoulé 35000 et a imaginé une trentaine d’autres jeux. La plupart existent en français et en allemand, beaucoup sont directement imprimés en huit langues, dont le polonais ou le néerlandais. Quelques-uns commencent à être traduits en chinois ou en coréen. Helvetiq est diffusé dans 25 pays. Le marché américain, ouvert en 2016, est devenu le premier débouché de l’entreprise basée à Bâle et à Lausanne. «Le territoire suisse est trop petit pour qu’on s’en sorte, même avec des best-sellers. Nous devons nous internationaliser», note le fondateur en conduisant sa voiture dans les virages valaisans.
Graphisme soigné
Des best-sellers, il y en a eu depuis le succès du premier jeu. Lancé en juillet 2016, Bandido, jeu de cartes coopératif dont le but est de maintenir un malfrat en prison, s’est écoulé à 85000 exemplaires. Team-Up, plus récent et réalisé à la demande de l’entreprise de transport Planzer, sorte de Tetris en bois beaucoup plus stratégique, s’est, lui, vendu à 15000 exemplaires, soit trois fois plus que le tirage de base. Il y a eu des bides aussi, comme ce puzzle de SaintGall cédé à moins de 30 copies, là où les versions lausannoises et zurichoises avaient cartonné. Hadi Barkat dresse l’inventaire tout en grimpant un chemin qui surplombe le joli lac de Taney.
La signature Helvetiq? Un graphisme sobre et soigné. Une épure qui détonne dans un univers où le laid côtoie généralement le surchargé. Sur les dix personnes que compte l’équipe depuis deux ans – contre trois employés seulement l’année d’avant –, trois sont graphistes. Les jeux, eux, sont simples sans être ennuyeux. «Beaucoup d’éditeurs essaient de répondre aux exigences de joueurs chevronnés. Nous, nous essayons plutôt d’amener des gens dans le domaine du jeu», revendique Hadi Barkat.
Besoin de convivialité
Le domaine compte toujours plus d’adeptes; le développement du jeu de société a été fulgurant ces cinq dernières années. «On est passé d’un monde un peu artisanal, où quelques passionnés imaginaient bénévolement des jeux dans leur coin, à un secteur ultra-professionnalisé et globalisé», souligne Olivier Kirschmann, à la tête de l’Atelier du jeu, à Pully. En 2017, quelque 1000 jeux de société sont sortis en langue française, un chiffre déjà atteint pour cette année, alors même que le salon d’Essen, en Allemagne, sera l’occasion de multiples nouveautés à la fin octobre. La tendance est aux variantes plateau des escape rooms et les jeux collaboratifs gardent le vent en poupe. Rien à voir avec les Monopoly et Trivial Pursuit d’il y a trente ans. «Les éditeurs de jeux de société ont pris une telle claque avec l’avènement des smartphones qu’ils ont cherché à rebondir, poursuit Olivier Kirschmann. Ils ont imaginé des jeux bien plus courts et aux règles plus simples, tenant sur une page A4.» Les mêmes smartphones qui, selon Hadi Barkat, pousseraient désormais les gens à se retrouver autour d’une table pour jouer. «On a besoin de convivialité et de tactile à l’ère des réseaux sociaux», professe-t-il assis sur un banc qui surplombe le Léman.
Albums jeunesse
Reste que si le marché explose en France, les Suisses sont à la traîne, en termes tant de joueurs que d’éditeurs. «Les Romands gardent une image négative du jeu de société, qui serait une affaire de gosses ou de geeks, estime Olivier Kirschmann. Tout l’enjeu, lorsqu’ils viennent dans ma boutique pour leurs enfants, est de convaincre les parents qu’ils peuvent y trouver du plaisir également. Le problème est que pour beaucoup, l’idée du jeu s’est arrêtée aux interminables parties de Monopoly…» Helvetiq vise justement cette clientèle familiale, proposant des jeux susceptibles
Le développement du jeu de société a été fulgurant ces cinq dernières années
d’amuser une fratrie entière ou plusieurs générations.
Mais si le marché semble porteur, la maison d’édition se positionne également sur un autre créneau: celui des livres. Le premier essai, Contre-sagesses suisses, recueil de perles du Grand Prix du maire de Champignac sorti en 2011, a été suivi d’une quinzaine d’autres. Le plus fameux? Les Randos bière, 45000 ouvrages vendus en Suisse, dont des versions américaines et françaises sont en préparation – le Nord-Ouest Pacifique s’est déjà écoulé à 10000 exemplaires. Helvetiq vise désormais la littérature jeunesse. Deux titres ont déjà été publiés, en français et en allemand. Hadi Barkat s’est mis à courir sur les sentiers: «Nous aimerions hisser nos activités livres au même rang que celles des jeux. Ce qui nous importe, c’est de partager des expériences qui nous sont chères avec le public. Qu’il s’agisse d’une partie de cartes, d’un trail en montagne ou de l’histoire du soir avec les enfants.» Le père de famille ralentit les foulées et dégaine quelques jeux de société. «On fait une partie?»
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