«Le vent tourne», l’amour s’essouffle
Bettina Oberli observe la désagrégation d’un couple d’agriculteurs jurassiens au pied d’une éolienne. Une âpre pastorale construite autour de Mélanie Thierry
Mélanie Thierry brûle d’un feu sombre au coeur de La douleur où elle incarne Marguerite Duras avec une puissance sidérante. Elle est sortie de ce tournage pour entrer avec reconnaissance dans Le vent tourne, «un film qui me raccroche à des souvenirs d’enfance, à la terre, à quelque chose d’organique, d’instinctif. On joue en plein air, on ruisselle de sueur, le corps s’engage…» La comédienne française assène une nouvelle démonstration de son excellence. Débordant d’énergie, une mèche couleur de blé mûr sur un regard bleu ciel où passent des nuages, elle donne l’impression d’avoir passé sa vie dans les champs. Elle regimbe un peu, estime ne pas savoir tenir une pelle… Son souci d’exactitude l’honore, mais elle exagère.
Plainte fantomatique
Elle est Pauline. Avec son compagnon, Alex (Pierre Deladonchamps), ils dirigent une exploitation agricole dans le Jura neuchâtelois en appliquant leurs convictions écologiques. Cet été-là, deux événements viennent rompre la quiétude de leur existence paisiblement campagnarde. Le couple accueille une adolescente russe de Tchernobyl venue se requinquer au bon air et fait installer une éolienne qui concrétise leur désir d’autarcie. L’ingénieur amène le souffle du dehors et trouble Pauline, révélant des failles au sein du couple.
Avec Le vent tourne, Bettina Oberli (Les mamies ne font pas dans la dentelle) met en scène un drame rural d’une grande finesse psychologique et symbolique, intelligemment inscrit dans une problématique contemporaine. A travers des cadrages soignés, des répliques ambiguës («J’arrive au bon ou au mauvais moment?»), des gestes délicatement orchestrés qui disent beaucoup des protagonistes, des images fortes de la nature – paisible de jour, angoissante de nuit –, la cinéaste signe une oeuvre qui va de l’églogue à une touche d’Apocalypse avant de prendre le large.
Alex a raison de s’inquiéter de l’état de la planète. Mais il glisse vers l’intégrisme, prêt à vivre dans le noir plutôt que de recourir à l’électricité sale ou affublant ses vaches malades de colliers de cuivre. Pauline prend conscience de cette crispation idéologique. Elle erre dans le brouillard, elle oscille au bord du gouffre. Elle finit par frapper à la porte de l’ingénieur.
Dans la nuit, l’hélice fait entendre un hululement incessant. Cette plainte fantomatique est comme la voix de la culpabilité. Pauline sabote l’éolienne, comme elle sabote sa relation avec Alex, souscrivant à cette folie qui pousse les gens heureux à brûler leur maison, selon Rebecca West citée en exergue.
Ce geste autodestructeur ramène l’ingénieur… Mais Bettina Oberli a l’élégance de préférer le récit d’émancipation à la love story, de célébrer le courage plutôt que le confort conjugal ou la folie amoureuse.
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