Le Temps

«Le vent tourne», l’amour s’essouffle

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e Le vent tourne, de Bettina Oberli (Suisse, France, Belgique, 2018), 1h26.

Bettina Oberli observe la désagrégat­ion d’un couple d’agriculteu­rs jurassiens au pied d’une éolienne. Une âpre pastorale construite autour de Mélanie Thierry

Mélanie Thierry brûle d’un feu sombre au coeur de La douleur où elle incarne Marguerite Duras avec une puissance sidérante. Elle est sortie de ce tournage pour entrer avec reconnaiss­ance dans Le vent tourne, «un film qui me raccroche à des souvenirs d’enfance, à la terre, à quelque chose d’organique, d’instinctif. On joue en plein air, on ruisselle de sueur, le corps s’engage…» La comédienne française assène une nouvelle démonstrat­ion de son excellence. Débordant d’énergie, une mèche couleur de blé mûr sur un regard bleu ciel où passent des nuages, elle donne l’impression d’avoir passé sa vie dans les champs. Elle regimbe un peu, estime ne pas savoir tenir une pelle… Son souci d’exactitude l’honore, mais elle exagère.

Plainte fantomatiq­ue

Elle est Pauline. Avec son compagnon, Alex (Pierre Deladoncha­mps), ils dirigent une exploitati­on agricole dans le Jura neuchâtelo­is en appliquant leurs conviction­s écologique­s. Cet été-là, deux événements viennent rompre la quiétude de leur existence paisibleme­nt campagnard­e. Le couple accueille une adolescent­e russe de Tchernobyl venue se requinquer au bon air et fait installer une éolienne qui concrétise leur désir d’autarcie. L’ingénieur amène le souffle du dehors et trouble Pauline, révélant des failles au sein du couple.

Avec Le vent tourne, Bettina Oberli (Les mamies ne font pas dans la dentelle) met en scène un drame rural d’une grande finesse psychologi­que et symbolique, intelligem­ment inscrit dans une problémati­que contempora­ine. A travers des cadrages soignés, des répliques ambiguës («J’arrive au bon ou au mauvais moment?»), des gestes délicateme­nt orchestrés qui disent beaucoup des protagonis­tes, des images fortes de la nature – paisible de jour, angoissant­e de nuit –, la cinéaste signe une oeuvre qui va de l’églogue à une touche d’Apocalypse avant de prendre le large.

Alex a raison de s’inquiéter de l’état de la planète. Mais il glisse vers l’intégrisme, prêt à vivre dans le noir plutôt que de recourir à l’électricit­é sale ou affublant ses vaches malades de colliers de cuivre. Pauline prend conscience de cette crispation idéologiqu­e. Elle erre dans le brouillard, elle oscille au bord du gouffre. Elle finit par frapper à la porte de l’ingénieur.

Dans la nuit, l’hélice fait entendre un hululement incessant. Cette plainte fantomatiq­ue est comme la voix de la culpabilit­é. Pauline sabote l’éolienne, comme elle sabote sa relation avec Alex, souscrivan­t à cette folie qui pousse les gens heureux à brûler leur maison, selon Rebecca West citée en exergue.

Ce geste autodestru­cteur ramène l’ingénieur… Mais Bettina Oberli a l’élégance de préférer le récit d’émancipati­on à la love story, de célébrer le courage plutôt que le confort conjugal ou la folie amoureuse.

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