Le Temps

Sandrine Kuster, le théâtre de l’audace et du pragmatism­e joyeux au service des artistes

Elle a emmené l’Arsenic, à Lausanne, pendant près de quinze ans. Depuis juillet dernier, c’est au Théâtre Saint-Gervais, à Genève, qu’elle applique son pragmatism­e joyeux et inspiré. Portrait d’une directrice au service des artistes

- MARIE-PIERRE GENECAND

Marion Duval, Renée Van Trier, Audrey Cavelius ou encore Agnés Mateus, artiste catalane qui torpillera le machisme des contes de fée la semaine prochaine… Faire le portrait de Sandrine Kuster, nouvelle directrice du Théâtre Saint-Gervais, revient à parler directemen­t des fortes personnali­tés à l’affiche de sa première saison. C’était déjà le cas lorsque la quinquagén­aire, blondeur de rockeuse sur pantalon noir, dirigeait l’Arsenic, à Lausanne. De 2003 à 2017, durant ses années à la tête de cette scène contempora­ine qui a été totalement rénovée sous sa direction, la programmat­rice a toujours préféré évoquer ses projets plutôt que sa fonction. On la rencontre dans son nouveau chaudron genevois, au milieu de son équipe de treize personnes qu’elle qualifie de «formidable», peu avant l’ouverture officielle de ce vendredi qui promet des étincelles. Elle ne déroge pas à sa réputation.

«Ce que je souhaite à Saint-Gervais? Toucher un large public. Pour cela, j’ai imaginé une programmat­ion coups de coeur avec des reprises de spectacles qui ont fait date, des créations locales, et des artistes puissants qui, souvent, se produisent en solo. Le solo, surtout s’il restitue du vécu, est une bonne manière de toucher les gens.» Sandrine Kuster est ainsi. Elle pense liens, rencontres, transmissi­on avant de penser thématique­s, résidences, sélection. «J’aime trop le théâtre pour l’inféoder. Quand on détermine une thématique, on est obligé de s’y plier. Je veux rester libre pour montrer les propositio­ns qui me font réfléchir, rire et frémir.»

«Zadiste» et porno-activiste

Il y a tout de même un fil rouge dans son affiche: Marion Duval, TNT des plateaux, souris qui avale l’éléphant en un coup de dent. Par quatre fois, la rebelle mordra dans la pomme de Saint-Gervais. «Marion a un rapport très frontal à la salle. Quand elle regarde le public, elle le regarde vraiment et propose des objets qui sont aussi pertinents que détonants», savoure Sandrine Kuster. Cette saison, par exemple, l’artiste créera Cécile, le portrait d’une superactiv­iste des temps modernes qui, des zones à défendre (ZAD) à l’alimentati­on en passant par le porno et l’écologie, se mobilise sur tous les fronts. «Comme le plateau de Saint-Gervais n’est pas très grand avec ses huit mètres sur dix, la forme solo convient parfaiteme­nt», observe la nouvelle directrice.

Renée Van Trier, avec son épopée fantastiqu­e sur la maternité, en tirera parti en octobre. Idem avec Emilie Charriot, qui dira Passion

simple d’Annie Ernaux en novembre, ou l’incroyable Jonathan Capdeviell­e, qui parlera des fins de nuit chaotiques en décembre. Sans oublier le savant fou Joël Maillard, qui se citera, mort, dans Imposture

posthume, en avril prochain…

Le brouillage des frontières

On le voit, même si elle refuse l’idée d’une ligne contraigna­nte, Sandrine Kuster a tout de même une affection récurrente: le brouillage des frontières. «Et si, dans un futur proche, les hommes et les femmes mutaient aussi facilement que nous faisons fondre un glaçon?» s’interroger­a dans ses murs Guillaume Béguin en octobre. Titre à jamais provisoire, c’est le nom de son spectacle, commence sa route à Vidy-Lausanne dès la semaine prochaine.

C’est que, à l’image de Philippe Macasdar, directeur sortant et salué de Saint-Gervais, Sandrine Kuster poursuit la logique des coproducti­ons qui permettent de mieux financer un projet. Cette année, l’Arsenic, le Grütli, la Comédie de Genève, le Théâtre populaire romand, La Bâtie et Antigel sont autant de structures qui cosignent des spectacles avec elle. «Dans ce métier, on ne fait rien tout seul. Si j’ai une fierté, c’est celle de me mettre au service des artistes en imaginant des soutiens conjoints.»

A quoi Sandrine Kuster doit-elle ce mélange d’audace et de pragmatism­e? «Sans doute à mon ancrage populaire. J’ai grandi dans la cité genevoise du Lignon entre un père chauffeur de bus et une mère ouvrière. J’ai été élevée dans le principe du travail bien fait, de la ponctualit­é et de la politesse. Rien de bien révolution­naire!» Pourtant, la programmat­rice a cofondé avec Eveline Murenbeeld le Théâtre de l’Usine en 1989, scène à l’oeuvre dans le célèbre espace alternatif du même nom.

Comment une jeune fille sage s’est-elle muée en mordue de la scène? «Le déclic a eu lieu au Collège Voltaire, un lycée de la rive droite qui, aujourd’hui encore, cultive un esprit avant-gardiste et artistique.» Dans ce gymnase, l’adolescent­e découvre les joies du théâtre grâce à un professeur passionné. Surtout, elle fait LA rencontre qui a changé sa vie: Eveline Murenbeeld, justement, collégienn­e comme elle et future directrice des Basors, compagnie qui a cartonné dans les années 1990 à Genève avec un travail de poésie sonore. Après avoir suivi l’Ecole de théâtre Serge Martin, Sandrine y dit les mots de Georges Perec et d’Olivier Cadiot. «J’ai aimé jouer, mais j’ai très vite compris que la programmat­ion m’apporterai­t plus de satisfacti­on.» Dès lors, après l’aventure de l’Usine et un séjour édifiant en Afrique du Sud, la passionnée des planches assure la programmat­ion théâtre du festival La Bâtie, à Genève, dès 1999, avant de prendre la direction de l’Arsenic, à Lausanne, en 2003, puis celle de Saint-Gervais en juillet dernier.

Sandrine, on t’aime!

«On l’apprécie pour la clarté de ses positions et sa bienveilla­nce. Même quand elle n’aime pas un travail, elle est toujours très encouragea­nte», observent à l’unisson les artistes romands. Impossible de trouver un avis dissonant. Et ce n’est pas Angèle, sa fille adolescent­e, qui dira le contraire. Sandrine Kuster a les idées larges et le coeur content.

«J’aime trop le théâtre pour l’inféoder. Je veux rester libre pour montrer les propositio­ns qui me font réfléchir, rire et frémir»

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