Affaire Maudet: que celui qui n’a jamais menti jette la première pierre…
Le mensonge fait partie des péchés graves et il a toujours été condamné. Aujourd’hui, nous prônons la sincérité, jusqu’au mépris parfois de la bienséance ou de l’élémentaire charité. Boris Cyrulnik y voit un signe de «régression dans la brutalité». Pourtant, le mensonge n’a jamais cessé d’être en usage, vous et moi le savons très bien. Ce constat de nos propres faiblesses menait à une forme d’acceptation de l’homme tel qu’il est, qui interpellait notre bienveillance. Elle est remplacée aujourd’hui par une intransigeance prométhéenne, excluant le pardon.
Evidemment, je ne suis pas dans la tête de Pierre Maudet, que je ne connais guère, mais il semble probable qu’il a menti pour une raison largement explicitée en psychologie: se protéger. En effet, la majorité de nos mensonges sont des actes instinctifs auxquels on a recours pour éviter d’avoir honte, de perdre l’estime des autres et d’abîmer la relation établie avec eux. Etre haut placé dans la hiérarchie, avec une large notoriété, accroît les enjeux au point que le mensonge peut apparaître, à tort, comme le seul recours.
Pierre Maudet était forcément conscient qu’il n’aurait pas dû accepter cette invitation du prince émirati, même s’il l’a fait sans arrière-pensées ni échange de bons procédés, ce que la justice dira. Il a compris que le doute s’instillerait dès l’affaire connue, au point que sa vie politique était en jeu, une vie politique à laquelle il s’est exclusivement consacré. C’était donc une question de vie ou de mort. La peur étant un des principaux mobiles du mensonge, il a donc menti, sans mesurer que tout se découvre aujourd’hui et que ses adversaires veillaient. A une faute politique il a rajouté une faute humaine, rajoutant à l’opprobre.
En effet, s’il n’avait pas menti, il serait aujourd’hui dans les mains de la justice mais pas dans celles des médias et des censeurs de toute sorte, placés en demeure d’attendre le verdict. Il susciterait les suspicions mais pas cette curée actuelle qui inclut son propre parti. Alors même qu’il sera peut-être blanchi s’il n’a accordé aucune contrepartie ni bénéficié d’un enrichissement notable, il est d’ores et déjà perdu puisque l’affaire du mensonge supplante l’éventuelle affaire de corruption. Ce fut le contraire dans le cas de Christophe Darbellay, qui avait pris l’initiative d’un coming out sur la question de son enfant illégitime. L’affaire s’est vite éteinte parce qu’il a dit la vérité aux médias, au moins en partie, et aussi parce que c’était une affaire privée. Mais, tout bien considéré, s’il faut vraiment condamner les menteurs et les priver définitivement de notre confiance, alors celui-ci a menti durablement à sa femme, qui en a sans doute été profondément humiliée…
Chez Pierre Maudet, le recouvrement de la faute politique, sur laquelle la justice statuera, par une erreur humaine le condamne sans appel, indépendamment de la présomption d’innocence. Cela révèle l’extrême cruauté de notre société, cette cruauté que nous nous targuons, à juste titre, d’éradiquer concernant les criminels ou même les animaux. Pour lui, le jugement est expéditif et définitif, sans aucune prise en compte de la qualité de son travail, des mesures intelligentes qu’il a prises, de la rationalité de ses décisions. Toutes choses qui ont sans doute permis aux Genevois d’économiser bien des bévues et quelques millions… Sic transit gloria mundi!
Toujours sous réserve des conclusions de la justice, cette affaire prive les Genevois, et peut-être la Suisse, d’une personnalité particulièrement douée, alors même que nous nous plaignons en permanence de l’incompétence ou de l’insignifiance de nos responsables politiques. Faut-il s’en étonner alors qu’une étude réalisée en 2017 révélait que la confiance accordée à un responsable politique dépendait pour la moitié des Français de son honnêteté, et pour moins d’un tiers de sa compétence!■