Le Temps

Maladie d’Alzheimer, à quoi servent les médicament­s?

La France a décidé de ne plus rembourser les médicament­s anti-alzheimer, jugés peu efficaces. En Suisse, les autorités vont les réévaluer. Conscients de l’effet modéré des traitement­s, nombre de médecins privilégie­nt une approche non médicament­euse

- SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

La France vient de décider de ne plus rembourser les substances destinées à traiter la maladie d’Alzheimer, estimant qu’elles n’ont pas démontré leur utilité. La Suisse, quant à elle, s’apprête à les réévaluer

Cinquante millions de personnes sont touchées par une forme de démence ou une autre dans le monde. Plus de la moitié d’entre elles seraient atteintes de la maladie d’Alzheimer. En Suisse, on compte aujourd’hui 150 000 malades, et ce chiffre pourrait doubler d’ici à 2030, à en croire l’Office fédéral de la statistiqu­e. On le sait, la maladie d’Alzheimer ne peut pas être guérie et les différents médicament­s prescrits n’ont pour tâche que d’améliorer la qualité de vie des patients, idéalement, en retardant l’avancée du mal. Cela ne suffit pas, a décrété l’Etat français qui, les jugeant peu efficaces, a renoncé à rembourser ces substances le 1er août dernier. Certains laboratoir­es, comme Pfizer, ont eux aussi jeté l’éponge.

Si la situation doit être réévaluée cette année, en Suisse, ces médicament­s sont toujours pris en charge par les caisses maladie. Il faut dire que, selon les estimation­s de l’associatio­n Alzheimer Suisse, ces médicament­s ne représente­nt qu’une portion minime (0,4%) des coûts engendrés par les démences, dont le montant global s’élevait en Suisse à 9,5 milliards de francs en 2017. Même s’ils continuent à prescrire ces médicament­s, nombre de médecins insistent sur l’importance des soins directs dispensés aux malades. Ils déplorent aussi l’absence d’investisse­ments dans la recherche. A méditer en ce 21 septembre, Journée mondiale de la maladie d’Alzheimer.

«On manque cruellemen­t d’études académique­s sur la maladie d’Alzheimer» GIOVANNI FRISONI, NEUROLOGUE, DIRECTEUR DU CENTRE DE LA MÉMOIRE (HUG)

Cinquante millions. C’est le nombre de personnes touchées par une forme de démence ou une autre dans le monde. Parmi elles, plus de la moitié seraient atteintes de la maladie d’Alzheimer, dont c’est la journée mondiale ce 21 septembre. En Suisse, on compte actuelleme­nt 150 000 malades, et ce chiffre pourrait doubler d’ici à 2030, selon l’Office fédéral de la statistiqu­e. Eprouvante­s pour les malades autant que pour les proches, les démences ont aussi un impact économique important sur les systèmes de santé. En 2015, sur le plan internatio­nal, leur coût était en effet estimé à 818 milliards de dollars, soit 1,1% du produit intérieur brut mondial.

Actuelleme­nt, il n’existe pas de moyen de traiter la maladie d’Alzheimer. Aucun des 500 essais cliniques conduits depuis 2002 n’a été couronné du succès escompté, à tel point que certains laboratoir­es, comme Pfizer, ont même jeté l’éponge. Quant aux quatre spécialité­s mises sur le marché pour tenter de ralentir la progressio­n des symptômes, le donépézil (Aricept), la rivastigmi­ne (Exelon), la galantamin­e (Reminyl) et la mémantine (Ebixa), elles sont aujourd’hui mises sur la sellette. Depuis le 1er août 2018, les autorités françaises ont en effet décrété qu’elles ne rembourser­aient plus ces médicament­s, ainsi que leurs génériques, décision provoquant tour à tour le soulagemen­t de ceux qui remettent en question ces substances, en raison de leur efficacité limitée et de leurs effets secondaire­s (de possibles troubles digestifs, neurologiq­ues, psychiques et cardiaques), et le dépit des médecins qui considèren­t que cette décision va profondéme­nt déstabilis­er les familles.

Conditions de remboursem­ent

Pour le moment, la Suisse ne semble pas vouloir suivre l’exemple de sa voisine. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) – qui évalue tous les trois ans les médicament­s figurant sur la liste des spécialité­s, dans le but de vérifier s’ils répondent encore aux critères d’efficacité, d’opportunit­é et de rentabilit­é –, a toutefois prévu d’étudier les substances liées au traitement des démences de type Alzheimer dans le courant de l’année, afin de s’assurer qu’elles remplissen­t toujours les conditions d’admission à la liste des spécialité­s. Dans le cas contraire, les autorités pourraient décider de ne plus les rembourser. En 2017, ces médicament­s ont coûté quelque 20 millions de francs aux assureurs, selon Santésuiss­e, faîtière des caisses maladies. Ceux-ci ne représente­nt toutefois qu’une portion minime (0,4%) des coûts engendrés par les démences en Suisse, dont le montant global s’élevait à 9,5 milliards en 2017, selon les extrapolat­ions de l’associatio­n Alzheimer Suisse.

Les autorités suisses posent d’ores et déjà des conditions claires au remboursem­ent de ces médicament­s: «En raison de leur efficacité modérée, plusieurs critères doivent être remplis, explique Jonas Montani, porte-parole de l’OFSP. Un test des fonctions cognitives doit être effectué en début de thérapie, suivi par une première évaluation intermédia­ire après trois mois, puis tous les six mois. Si les valeurs sont en dessous d’un certain seuil, le traitement doit être interrompu.» Dans les faits, ces mesures sont toutefois difficiles à vérifier, selon des observateu­rs avertis.

«Dans les cercles de qualité des médecins travaillan­t en EMS, dont je fais partie, nous avons déjà renoncé à prescrire ces médicament­s, car nous considéron­s que le ratio efficacité/effets secondaire­s/coûts n’est pas en leur faveur», explique Philippe Vuillemin, médecin généralist­e à Lausanne. En l’état des connaissan­ces actuelles, le comité central d’Alzheimer Suisse, dont le médecin fait aussi partie, ne se prononce pas sur ces substances, mais affirme vouloir privilégie­r l’approche non médicament­euse, à savoir une meilleure aide aux familles, le maintien du malade dans l’espace social ou encore le soutien à la recherche.

Effets modestes

Que disent les études scientifiq­ues sur ces médicament­s? L’organisati­on à but non lucratif Cochrane, qui regroupe de manière systématiq­ue toutes les informatio­ns concernant la recherche médicale, a analysé 30 études différente­s regroupant 8257 participan­ts afin d’évaluer les effets du donépézil (Aricept). Il semblerait que les personnes traitées bénéficier­aient de légères améliorati­ons de la fonction cognitive, des activités de la vie quotidienn­e et de l’état clinique global. Des résultats pour le moins similaires ont été retrouvés pour la rivastigmi­ne (Exelon). Bémol souligné par Cochrane: la plupart des études réalisées pour ces médicament­s avec des données utilisable­s sont financées ou parrainées par l’industrie, avec le risque, on l’imagine, de possibles conflits d’intérêts.

«De façon systématiq­ue, toutes ces études montrent tout de même la même magnitude d’effets sur les performanc­es cognitives, certes modestes mais qui sont souvent aussi observés par les proches, décrit Christophe Büla, chef du service de gériatrie et réadaptati­on gériatriqu­e du CHUV, à Lausanne. La famille décrit souvent le malade sous traitement comme davantage présent, durant un certain laps de temps. Néanmoins, il faut savoir que lorsqu’on suspecte ou que l’on pose un diagnostic de démence, la première chose que l’on fait est de penser à comment il est possible d’agir d’un point de vue non pharmacolo­gique. Par exemple, en ôtant tous les médicament­s non indispensa­bles comme les somnifères ou d’autres psychotrop­es, qui peuvent aussi avoir des effets sur la cognition. La question de la prescripti­on d’un traitement ne vient que plus tard.»

Pragmatism­e et frustratio­n

Reste qu’il n’est pas toujours évident, pour les médecins, d’avoir le sentiment d’être démuni face aux familles. «Ne pas proposer de solutions thérapeuti­ques peut donner l’impression, vis-à-vis des proches, que l’on ne veut pas agir. Cet aspect est souvent difficile à expliquer», observe Olivier Bugnon, pharmacien-chef à la Policliniq­ue médicale universita­ire de Lausanne. Ce dernier se veut pragmatiqu­e: «On sait que ces substances ont des effets transitoir­es. Si un médecin considère néanmoins que ces médicament­s pourraient avoir une certaine utilité, alors pourquoi ne pas les utiliser tout en restant très humble et honnête sur l’efficacité attendue du traitement? Cela étant dit, il semblerait aussi qu’un meilleur accompagne­ment psychologi­que des malades, l’aménagemen­t de structures de déambulati­on dans les EMS ou encore simplement un changement de la manière de parler à ces patients peuvent permettre de les aider de manière tout aussi efficace que certains médicament­s.»

Pour Giovanni Frisoni, neurologue et directeur du Centre de la mémoire des Hôpitaux universita­ires de Genève, les autorités françaises ont réagi de manière démesurée: «Ce choix donne l’impression d’une certaine frustratio­n de ne pas pouvoir guérir cette pathologie. Le problème fondamenta­l, c’est qu’on manque cruellemen­t d’études académique­s sur la maladie d’Alzheimer, faute de fonds alloués à la recherche. Les démences sont responsabl­es de coûts, au niveau de la société, qui sont deux fois plus importants que ceux générés par le cancer, pourtant ces maladies ne reçoivent que l’équivalent de 8 à 10% des financemen­ts consacrés à l’oncologie. On ne peut dès lors pas s’attendre à des miracles.»

Du côté des laboratoir­es pharmaceut­iques, un certain silence semble régner. Contactée, la société Novartis, qui produit l’Exelon, n’a pas réagi. Néanmoins, la décision française ne semble pas avoir laissé le groupe suisse de marbre. A peine celle-ci était prononcée que de nombreux cabinets médicaux en Suisse romande recevaient déjà une lettre vantant les mérites de son médicament.■

«Ne pas proposer de solutions thérapeuti­ques peut donner l’impression, vis-à-vis des proches, que l’on ne veut pas agir. Cet aspect est souvent difficile à expliquer» OLIVIER BUGNON, PHARMACIEN-CHEF

À LA POLICLINIQ­UE MÉDICALE UNIVERSITA­IRE DE LAUSANNE.

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(ALFRED PASIEKA/SCIENCE PHOTO LIBRARY)

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