Le Temps

Genève au coeur de la lutte contre l’impunité en Syrie

- S. BU

A la tête du mécanisme indépendan­t chargé d’enquêter sur les crimes les plus graves commis en Syrie, Catherine Marchi-Uhel estime que le travail de collecte de preuves va vite. Déjà 900 000 documents ont été rassemblés

«Nous accompliss­ons un travail de fourmi.» Responsabl­e du Mécanisme internatio­nal, impartial et indépendan­t (MIII) institué par l’ONU et appelé à enquêter sur les crimes les plus graves commis en Syrie, Catherine Marchi-Uhel a conscience de l’ampleur de la tâche. Celle de combattre l’impunité de ceux qui ont commis des atrocités en Syrie depuis la révolution du printemps 2011. «Nous ne nous focalisons par sur une partie au conflit (qui a fait plus d’un demi-million de morts), mais sur toutes les parties», sous-entendu les forces du régime de Bachar el-Assad et les rebelles. Installé à Genève, le mécanisme ne tourne pas encore à plein régime. Mais il abat déjà un travail important: 23 employés collectent des documents et des preuves pour construire des dossiers pénaux futurs. Les effectifs devraient atteindre 40 personnes d’ici à la fin 2018 et quelque 60 vers la mi-2019.

S’exprimant jeudi devant la presse du Palais des Nations, Catherine MarchiUhel, nommée en juillet 2017, peut présenter un premier bilan: le MIII a déjà collecté 900 000 documents, soit 4 térabytes de données. Il espère pouvoir ouvrir deux dossiers spécifique­s d’ici à la fin de l’année. Le mécanisme a déjà reçu sept demandes de la part de trois autorités judiciaire­s nationales européenne­s. Le MIII collabore étroitemen­t avec le réseau génocide de l’Union européenne ainsi qu’avec des agences onusiennes comme l’Organisati­on pour l’interdicti­on des armes chimiques (OIAC).

Des standards très élevés propres à la justice pénale internatio­nale

«Dans notre collecte de documents, nous avons privilégié ceux qui requièrent un besoin urgent de conservati­on», précise la juge française à la tête d’un mécanisme qui se situe entre un tribunal pénal internatio­nal et une commission d’enquête. Selon elle, les preuves collectées doivent servir aux juridictio­ns qui seront déclarées compétente­s pour juger les crimes commis en Syrie, qu’elles soient nationales, régionales ou internatio­nales comme la Cour pénale internatio­nale (CPI). Pour l’heure, le Conseil de sécurité de l’ONU est incapable de saisir la CPI en raison des veto russes et la Syrie n’a pas ratifié le Statut de Rome instituant la CPI.

Catherine Marchi-Uhel craint-elle que le mécanisme qu’elle dirige ne soit sous-utilisé?

Pour l’heure, la coopératio­n fonctionne bien, rétorque-t-elle. Le MIII a rencontré la société civile syrienne à Lausanne le 4 avril dernier où elle a conclu un protocole d’accord avec 28 ONG syriennes. Elle l’avoue: «Il n’est pas toujours facile de convaincre les ONG présentes sur le terrain que le MIII travaille dans le sens souhaité. Elles sont parfois animées par la peur d’être dépossédée­s de leurs données. Or c’est un mythe. Le matériel qui nous est fourni reste lié à ces mêmes ONG.»

Le travail accompli par le MIII doit répondre à des standards très élevés propres à la justice pénale internatio­nale.

C’est pourquoi le mécanisme peut compter sur un système de gestion des preuves très sophistiqu­é, sur une méthodolog­ie rigoureuse et sur des collaborat­eurs très pointus dans le domaine dont certains, bien sûr, maîtrisent parfaiteme­nt l’arabe.

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