La «faute politique» de la SSR
Par mesures d’économies, le service public suisse annonçait ce mercredi le réagencement de certains de ses bureaux. Ses choix sont très critiqués à Berne, où la plupart des parlementaires suggèrent que la direction coupe plutôt dans ses propres rangs
Au lendemain de l’annonce du déplacement d’une partie des activités de la RTS genevoise à Lausanne à l’horizon 2024 et de la délocalisation prochaine de 170 collaborateurs de la radio alémanique de Berne à Zurich, les couloirs du Palais fédéral bruissent de mécontentement. Six mois après le rejet de l’initiative «No Billag», qui proposait l’abolition de la redevance, la direction du service public helvétique justifie ces changements par mesure d’économies. Si aucun sénateur ne nie la nécessité de redimensionner le groupe, ainsi qu’il a été promis par la SSR durant la campagne en mars, la manière employée laisse beaucoup de politiciens dubitatifs.
«Une trahison»
Pour Christian Levrat, président du Parti socialiste, les changements futurs annoncés par la SSR sont une «faute politique». Pour deux raisons, dit le conseiller aux Etats: «Tout d’abord parce que Gilles Marchand – le président de la SSR – a largement sous-estimé le mécontentement des milieux favorables au service public. Non seulement la gauche et le centre politique, mais aussi la Région capitale suisse, qui a toujours soutenu la SSR, contrairement à Zurich. Ensuite, dit le Fribourgeois, parce que ces modifications trahissent ce qui fait la force du service public: son ancrage dans les régions. Gilles Marchand souhaite vraisemblablement démontrer sa capacité de réforme, mais au lieu de cela il crée des résistances.» Le déménagement de certaines activités de Berne aux bords de la Limmat préoccupe particulièrement le socialiste, qui craint un retour en force de Zurich sur le terrain médiatique, «alors qu’il avait fallu casser un bras à la SSR pour aller à Berne».
Jusqu’en 2011 en effet, rien ne se passait au Palais fédéral le jour des élections fédérales – sans doute un cas unique au monde. Celles-ci se déroulaient dans les studios zurichois de la TV alémanique, où correspondants parlementaires et leaders politiques se retrouvaient tous les quatre ans pour commenter les résultats. Ce n’est qu’au début de la décennie que la situation a évolué, sous l’impulsion des présidents des principaux partis nationaux: Christophe Darbellay pour le PDC, Christian Levrat pour le PS, Fulvio Pelli pour le PLR et Ueli Leuenberger pour les Verts – tous Latins – à l’exception de Toni Brunner pour l’UDC, qui était opposé à la mesure. En collaboration avec Région capitale suisse, ils obtiendront finalement – en 2015 – que des studios de télévision provisoires soient aménagés au Palais fédéral. «Toutefois, dit Christian Levrat, si on recommence à déplacer des rédactions à Zurich, je sens qu’il faudra de nouveau batailler pour conserver Berne sur le devant.» Pour faire des économies, selon lui, «c’est surtout l’administration centrale qu’il faut restructurer». Il est rejoint sur ce point par un adversaire politique, Albert Rösti (BE), président de l’UDC: «C’est dans les cadres qu’il faudrait couper», dit également celui qui soutenait l’abolition complète de la redevance. «Cette décision est incompréhensible et inacceptable. Lors de la campagne «No Billag», la SSR a promis qu’elle serait présente dans les régions. Maintenant ils font le contraire. Je pense que toute leur stratégie doit être revue.»
L’avantage géographique de Lausanne
Conseiller national neuchâtelois (PS), Jacques-André Maire dénonce lui aussi la manière de procéder: «Cela fait craindre de futures disparitions de petites antennes locales, dit le socialiste. Le net refus de «No Billag» a pourtant démontré l’attachement des Suisses à la présence de la SSR dans les régions ainsi que le besoin de décentralisation et d’une meilleure collaboration avec les petites télévisions et radios locales. Je ne comprends donc pas cette politique, qui va à l’inverse de la volonté populaire.» Le Neuchâtelois convient de la nécessité de réaliser des économies. «Toutefois, n’y a-t-il pas d’autres moyens? s’interroge-t-il. A mon avis, il existe encore des poches de gras à la direction générale. En outre, la taille des équipes mobilisées pour réaliser certains sujets est disproportionnée. Et comme beaucoup de prestations y sont externalisées, il serait possible de réaliser des économies dans ce domaine sans toucher au social.»
Si la stratégie de la SSR ne fait pas l’unanimité, la concentration future de certaines activités genevoises dans la capitale vaudoise n’est pas critiquée par tout le monde. «En tant que politicien valaisan, dit Philippe Nantermod, vice-président du PLR Suisse, je peux vous dire que lorsque je suis invité à participer à des tables rondes, il est beaucoup plus pratique de se rendre à Lausanne, qui se situe à moins d’une heure de la plupart des chefs-lieux romands, qu’à Genève.»
Pour le conseiller national, pas de doute: «Le centre de la Suisse romande, ce n’est pas Genève: c’est Lausanne!»
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