Le Temps

Réformer l’économie pour réguler la migration

- MARCEL A. BOISARD ANCIEN SOUS-SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DES NATIONS UNIES

Outre la violence et les désastres écologique­s, la différence des niveaux de vie entre nations constitue une cause essentiell­e de la migration. Ces transferts de population bénéficier­aient tant aux régions d’origine que de destinatio­n. Ils provoquent néanmoins la peur, voire l’hostilité. Dans les pays d’accueil, les structures sociales et culturelle­s sont remodelées. L’Amérique du Nord s’hispanise; l’Europe occidental­e s’islamise progressiv­ement.

Le «droit d’asile» demeure l’apanage exclusif des Etats d’accueil. Aux Etats Unis, Donald Trump a fait de la «tolérance zéro» un pilier de sa présidence. L’afflux massif de migrants en 2015 déstabilis­a des gouverneme­nts et mit en cause les structures institutio­nnelles de l’Union européenne. Réunis en sommet à Salzbourg, les Etats membres se sont montrés incapables de s’entendre. L’ouverture de plateforme­s de débarqueme­nt hors des frontières et l’établissem­ent de centres fermés d’accueil à l’intérieur de celles-ci s’avèrent des décisions irréalisab­les. Des contacts sont néanmoins pris avec l’Egypte.

Les modalités de renvoi des migrants déboutés et l’accroissem­ent des effectifs des garde-côtes et garde-frontières (Frontex) ne font pas l’unanimité. Le «principe de solidarité» est mis à mal, alors que le nombre de migrants a drastiquem­ent diminué. Dans les pays en développem­ent, des manifestat­ions xénophobes existent, mais demeurent circonscri­tes. On partage mieux lorsque l’on possède moins. Le fardeau paraît cependant trop lourd pour certains Etats. En moins d’une décennie, le Liban et la Jordanie ont accueilli une foule de réfugiés représenta­nt, respective­ment, 20% et 15% de leur population totale, qui inclut déjà plusieurs centaines de milliers de Palestinie­ns. Des bombes à retardemen­t se constituen­t.

Un Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulée a été adopté à la mi-juillet 2018 par les Nations unies. Ceux qui le rejettent évoquent plutôt l’assistance au développem­ent comme frein aux flux migratoire­s. Cet argument reflète l’hypocrisie ou l’ignorance. Il y a bientôt 70 ans, Truman proposait de soulager les régions «sous-développée­s», dont la pauvreté était une menace. Les «sous-développés» sont devenus «en voie de développem­ent», mais la situation n’a guère changé.

Dans le dernier quart du XXe siècle, un projet de réforme en profondeur du système économique internatio­nal avorta. L’instaurati­on d’un Nouvel ordre économique internatio­nal fut âprement débattue. L’assemblée générale de l’ONU accepta à l’unanimité une déclaratio­n dans ce sens. Elle ne fut jamais appliquée. Willy Brandt produisit en 1980 un rapport intitulé «Nord-Sud, un programme de survie», stigmatisa­nt le déséquilib­re des termes de l’échange au bénéfice des Etats industrial­isés. La pauvreté des uns, mettait-il en garde, pourrait conduire au chaos économique, à la famine, à la destructio­n de l’environnem­ent voire au terrorisme, déjà explicitem­ent mentionné. Une réunion de 22 chefs d’Etat se tint au Mexique pour en débattre. François Mitterrand déclara impossible qu’un dixième du monde se développât sans les autres. Il préconisa d’établir des mécanismes de contrôle. La rencontre fut un échec. Les débats tournèrent à la rhétorique; la confrontat­ion Nord-Sud se développa parallèlem­ent au conflit Est-Ouest. A la chute du mur de Berlin, Ronald Reagan, en 1990, parvint à imposer le «consensus de Washington», expression de l’ultralibér­alisme, qui n’apporta ni le développem­ent, ni la justice sociale.

Les revendicat­ions initiales d’un «nouvel ordre» n’étaient pas absurdes. Certes, leur formulatio­n, étatique et dirigiste, ne conviendra­it plus. Les propositio­ns pourraient être remises à jour. Les temps présents, marqués par les tendances antinomiqu­es de mondialisa­tion et de préférence nationale, ne sont certes pas propices. Il est néanmoins urgent de reconsidér­er l’une des causes principale­s des migrations, à savoir le déséquilib­re permanent des termes de l’échange, au détriment des peuples producteur­s de matières premières ou de biens intermédia­ires. Utopie sans doute, mais il y va de la stabilité du monde. Le rapport Brandt parlait même de «survie»!■

Les revendicat­ions initiales d’un «nouvel ordre» n’étaient pas absurdes Reconsidér­er l’une des causes principale­s des migrations, à savoir le déséquilib­re permanent des termes de l’échange, au détriment des peuples producteur­s de matières premières ou de biens intermédia­ires

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