Le Temps

La frite a un message pour vous

- ALEXIS FAVRE @alexisfavr­e

Cette fois, ce ne sont plus seulement de lointains Américains jetés en pick-up sur les routes lessivées du Sud-Est. Ni le fleuve Bénoué, tout là-bas, qui gonfle et emporte le Nigeria. Ni même un glacier d’Islande qui fondrait dans l’indifféren­ce, sous le poids du soleil et de son nom compliqué. Cette fois, le climat réchauffé tape là où ça fait mal. Il frappe aux entrailles, dans le creux du ventre de nos identités d’Européens (en l’occurrence, celle de nos amis belges): il raccourcit les frites. Oui, les frites belges, les frites au blanc de boeuf, qui brûlent les doigts sur les trottoirs de Bruxelles.

Il a fait trop beau et trop chaud cet été, il n’a pas assez plu, du coup les pommes ont souffert sous une terre sèche: cette année, elles seront moins nombreuses et surtout plus petites, du coup les frites seront plus courtes. C’est tout bête, mais c’est bien réel. Observable, quantifiab­le et déplorable. Le Plat Pays va devoir s’y faire. Et nous, nous ne perdons rien pour attendre. Aujourd’hui la taille des frites belges, et demain quoi? Le diamètre des spaghettis, que raboteront d’incandesce­nts avrils? Ou pire, l’onctuosité de la fondue, défiée par l’assèchemen­t graduel des Préalpes fribourgeo­ises?

En s’invitant jusque dans nos patrimoine­s culinaires, le climat sort des gremiums internatio­naux, des protocoles de Kyoto et autres COPs à numéros. Aujourd’hui la frite, demain la fondue et les spaghettis: devant l’adversité climatique, nos traditions populaires se découvrent une communauté de destins. Laquelle, venant des tripes, ne peut qu’interpelle­r. La lutte contre le réchauffem­ent n’est pas un truc d’internatio­nalistes, ravis de la carotte bio et de la taxe carbone. C’est désormais aussi une urgence identitair­e, en cornet ou sur assiette. Juste là, devant nous, comme un caquelon qui bout.

Souveraini­stes patentés, chantres du chacun pour soi, convaincus de la nation indépassab­le, la frite a un message pour vous: si vous tenez vraiment à préserver vos particular­ismes et à sauver vos marqueurs, levez les yeux et interrogez vos logiciels. Tous seuls, les Belges ne sauront pas rallonger les frites. Dans leur coin, les Italiens ne pourront rien pour leurs spaghettis. C’est en nous concertant, en légiférant et en agissant ensemble que nous sauverons le gruyère de la dessiccati­on.

Oui, certains devront penser contre euxmêmes, et je sais que c’est difficile. Mais voici peut-être de quoi les convaincre: au bout de l’effort, je vous le promets, il y a une bonne fondue. Au goût inimitable d’éternité.n

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