SCÈNES À GENÈVE, SHAKESPEARE EST ESTIVAL ET SECOUÉ
Un songe facétieux, remuant et raccourci. Une féerie d’une nuit pour jeunes acteurs emmenés dans un dédale qui soudain les éconduit. A la manoeuvre de ce tour de passe-passe vu à l’Orangerie? Joan Mompart, toujours aussi bondissant dans ses rôles de metteur en scène et d’acteur. Mais très vite derrière, c’est Philippe Gouin qui officie. Le brillant comédien d’Omar Porras compose un Puck chef d’orchestre qui tire les ficelles de la vaste tromperie. Il chante Dalida, Aznavour et Balavoine. Interpelle les spectateurs sur leurs vêtements, leur chevelure, leurs attentes. Et danse comme une star sous les sunlights. Philippe Gouin peut tout faire et fait tout dans ce tube de Shakespeare taillé pour lui.
Le songe d’une nuit d’été. Parce qu’elle se déroule essentiellement dans un bois, la pièce la plus bucolique du grand Will s’impose naturellement à l’Orangerie. Frédéric Polier l’avait d’ailleurs mise en scène en 2008 alors qu’il dirigeait ce théâtre estival installé dans le majestueux parc La Grange. Ses personnages apparaissaient dans une forêt de cordes qui, tendues du sol au plafond, suggéraient les obstacles dressés entre les amants. Car, dans cette comédie aux mille sortilèges, les élans du coeur sont sans cesse douchés afin de montrer, nous dit l’auteur, que «l’amour vrai n’a jamais suivi un cours facile»…
Puck sème la confusion
Ainsi, sur fond de voiles et de ciels étoilés – très beau décor signé Valérie Margot –, ça chauffe entre Titania (Marie Druc) et Obéron (Joan Mompart), reine et roi des fées. Ils s’aiment, mais se chamaillent pour un enfant trouvé que chacun veut adopter. Ça chauffe aussi entre les tourtereaux de la cour, Héléna (Magali Heu), Hermia (Mélanie Bauer), Lysandre (David Casada) et Démétrius (Florian Sapey). Ils s’aiment également, mais dans le désordre et, se jetant sans cesse sur le tas de terre qui trône sur le plateau, désespèrent de composer les bonnes paires. D’autant que, et c’est là que Philippe Gouin déploie toute sa maestria, sur ordre d’Obéron, Puck s’amuse à semer la confusion.
Le facétieux applique des philtres d’amour – «Qui que tu voies à ton réveil sera l’amant ou la merveille» – et perturbe ainsi les inclinations naturelles. Il règle aussi un duel entre les jeunes garçons au comble de frustration. La séquence, jouée de dos et en ombres chinoises, est magique. Et, plus atypique, Puck parle des pièges de la représentation avec Obéron. C’est que Joan Mompart prend des libertés avec le texte de Shakespeare. Dans l’acte III de la partition originale, des artisans un peu lourdauds jouent la fable de «Pyrame et Thisbé» – là aussi un rendez-vous manqué, mais façon potache. Dans sa proposition, Mompart efface les artisans et confie au quatuor de jeunes premiers le soin de donner cette fable. Mais pas de manière spontanée. Via un effet de rupture. Butant sur le texte de «Pyrame et Thisbé» caché dans la terre, la comédienne qui joue Hermia est saisie de stupeur en imaginant que depuis vingt minutes, ses trois complices et elle n’interprètent pas la bonne pièce. S’ensuit un vif débat, contemporain, sur la décision à prendre: continuer comme si de rien n’était ou donner la fable antique qui a miraculeusement surgi?
Le moment claque, mais relève un peu de la fausse bonne idée car, même s’ils crient très fort, les comédiens ne convainquent pas dans ce tomber de masque et ce bug dramaturgique… En plus, pour les spectateurs non initiés, la trouvaille n’est pas limpide. Heureusement, la rupture est vite négociée et le récit reprend avec son art du second degré distillé par ce diable de Philippe Gouin, sa musique jouée en live (Laurent Bruttin) et son amour du mouvement.
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Théâtre de l’Orangerie, Genève, jusqu’au 29 septembre. www.theatreorangerie.ch