Les cantons alpins protègent leurs droits d’eau
A une nette majorité, le Conseil des Etats maintient le plafond de la redevance hydraulique, que les producteurs d’électricité jugent trop élevé. La réforme attendra
«Il est urgent d’attendre. La nouvelle organisation du marché dira à combien il faudra fixer la redevance à l’avenir»
BEAT VONLANTHEN, CONSEILLER AUX ÉTATS (PDC/FR)
Fort bien représentés au Conseil des Etats, les cantons alpins ont remporté jeudi une nouvelle manche dans le match qui les oppose aux sociétés électriques. Par 30 voix contre 13, les sénateurs ont décidé de ne pas abaisser le montant maximal de la redevance hydraulique et de le maintenir à 110 francs par kilowatt de puissance brute au moins jusqu’en 2024. La redevance hydraulique est la taxe qui grève le droit d’usage d’un cours d’eau. Elle est payée par l’exploitant de la force hydraulique à la collectivité disposant de la souveraineté sur les ressources aquifères.
Cette taxe est née en 1916. Son montant était à l’origine de 6 francs par cheval-vapeur. Il a augmenté progressivement. Il est passé à 54 francs par kilowatt de puissance brute en 1986, puis à 80 francs en 1997, à 100 francs en 2011 et enfin à 110 francs en 2015. Ces deux dernières adaptations ont été décidées simultanément par le parlement à une époque où personne ne soupçonnait que le prix de vente de l’électricité allait s’effondrer jusqu’en 2016. Ce dédommagement financier rapporte 550 millions par an. Les recettes profitent principalement au Valais (148 millions), aux Grisons (124 millions), au Tessin (55 millions), à l’Argovie (canton non alpin mais riche en cours d’eau exploitables, 50 millions) et Berne (45 millions). Plusieurs autres petits cantons en profitent aussi.
150 millions en moins
Le montant de 110 francs par kW est limité à fin 2019. Pour l’Association des entreprises électriques suisses (AES), cette échéance offrait l’occasion rêvée de diminuer un plafond jugé trop haut ou de flexibiliser ce prélèvement en le séparant en deux parties: une taxe de base fixe et une part variable tenant compte de l’état du marché. Le Département de l’énergie de Doris Leuthard a mis en consultation ce printemps un projet qui aurait abaissé le montant maximal à 80 francs par kW à partir de 2020. Les recettes auraient alors diminué d’environ 150 millions, dont 40 pour le Valais. La redevance hydraulique aurait été flexibilisée dans une deuxième étape.
Au terme de la consultation, Doris Leuthard a fait marche arrière. Estimant qu’aucun consensus ne se dégageait, elle a proposé au parlement de prolonger les 110 francs jusqu’en 2024. Un projet pour la suite sera mis en consultation cet automne. Dans la mesure du possible, il sera coordonné avec les décisions à prendre pour la libéralisation du marché de l’électricité et la structure de ce marché.
Jeudi, le Conseil des Etats a accepté de prolonger les 110 francs jusqu’en 2024. Il a fait siennes les considérations du Conseil fédéral. «Il est urgent d’attendre. La nouvelle organisation du marché dira à combien il faudra fixer la redevance à l’avenir», résume Beat Vonlanthen (PDC/FR), en rappelant que les cantons restent libres de fixer des prélèvements plus bas. Berne l’a fait: ce canton en est resté à 100 francs par kW. Werner Luginbühl (PBD/BE) et Damian Müller (PLR/LU) se sont vainement insurgés contre ce tarif maximal, qu’ils estiment excessif et inapproprié. Ils ont proposé de le ramener à 90 francs. «Que font certaines communes de montagne avec les recettes de la redevance? Elles accordent des rabais à leurs habitants pour leurs achats et leurs primes d’assurance maladie afin qu’ils restent dans les villages», s’étrangle Werner Luginbühl. «La taxe fixe indépendante de l’évolution du marché est un acte de solidarité qui n’est plus possible à cause des pertes que subissent les producteurs d’électricité», enchaîne Damian Müller. Dans certains cas, la redevance représente en effet jusqu’à 25% des coûts de production. Face à eux, les représentants du Valais, des Grisons, du Tessin, de Glaris font cependant bloc et emportent la mise: on reste à 110 francs.
Doris Leuthard animatrice du souper
Le Conseil des Etats a néanmoins mis un bémol qui est en fait une arme à double tranchant. Par 22 voix contre 20, il a accepté un amendement qui demande que le Conseil fédéral présente «en temps utile» un projet de taxe flexible applicable dès 2025. Mais cette adjonction précise aussi, dans une deuxième partie, que si aucun modèle n’est adopté d’ici à 2025, le tarif de 110 francs sera automatiquement reconduit. Les représentants des cantons alpins ont logiquement soutenu cette deuxième partie, qui a ainsi été approuvée par 20 voix contre 15 et 5 abstentions. Au terme des discussions, et avant de transmettre le dossier au Conseil national, Doris Leuthard a ironiquement suggéré aux porte-voix des cantons alpins et des producteurs d’électricité de se réunir en conclave quelque part et a précisé qu’elle se mettait volontiers à disposition comme animatrice lors du souper…